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Les contacts humains sont plus essentiels que jamais

Le bip de votre réveil électronique enfoui sous l’oreiller vous rappelle qu’il est l’heure de vous lever. Dans l’obscurité la plus totale, vous circulez dans la maison sur la pointe des pieds, sautez sous la douche et vous habillez en vitesse avant de vous laisser happer par le temps glacial de ce matin d’hiver. D’ailleurs, est-ce bien le matin ou le milieu de la nuit ? Quoiqu’il en soit, vous devez vous rendre à l’aéroport pour attraper le premier vol.

Cette scène est familière à tous les voyageurs d’affaires, ces « guerriers de la route » d’avant la pandémie. La revivront-ils un jour?

Au début de la pandémie, les aéroports et les compagnies aériennes ont enregistré une chute sans précédent du nombre de voyageurs, soit une diminution de 90 % du trafic de passagers par rapport à la même période de l’année précédente. Si de nombreux secteurs ont été touchés par la pandémie, peu l’ont été aussi durement que le transport aérien. La véritable question consiste à savoir à quoi ressemblera la reprise, si reprise il y a.

La pandémie a révélé à bien des gens que les outils tels Zoom et Teams peuvent être extraordinairement efficaces. Ils permettent, par exemple, à des gens travaillant dans plusieurs régions différentes du monde de communiquer de façon plus fluide et plus humaine que les traditionnels appels-conférences. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait assisté à une accélération fulgurante de leur utilisation, autant dans des contextes familiaux que pour l’enseignement et les affaires. Il s’agit de savoir si ce changement s’installera en permanence, avec un effet évidemment très néfaste sur l’industrie du voyage. Il semble que non.

Avant l’arrivée récente du variant Omicron, les voyages aux États-Unis connaissaient un rebond vigoureux, en particulier dans le secteur du séjour d’agrément. United Airlines a annoncé l’achat de 270 nouveaux avions avant 2026. Il s’agit de la plus importante acquisition d’avions depuis plus de dix ans. « Les voyages d’agrément en avion ont complètement repris », a annoncé le PDG de la United Airlines, Scott Kirby. La demande, longtemps contenue, et la hausse du revenu disponible des ménages contribuent à cette reprise rapide.

Perspectives a rencontré un important investisseur canadien œuvrant dans ce créneau. Ce dernier observe également une croissance et se nourrit d’espoirs. Son optimisme s’appuie sur l’idée que « l’être humain désirera toujours explorer le monde ». Il compte également sur la croissance de la classe moyenne à l’échelle mondiale. Certains indicateurs clés confirment son point de vue : déjà, le nombre de voyageurs et de vols aux États-Unis a crû de plus de 75% durant l’automne 2021 par rapport à la même période en 2020.

Mais qu’en est-il des voyages d’affaires ? Ce créneau est vital pour la plupart des compagnies aériennes. D’ailleurs, l’on dit souvent que la rentabilité du transport aérien se joue surtout « à l’avant de l’avion », c’est-à-dire dans la classe affaires.

Si certains estiment que la technologie, les nouvelles plateformes de vidéoconférence et les réunions virtuelles finiront par remplacer une bonne partie des voyages d’affaires, la plupart des observateurs et des investisseurs de l’industrie prévoient le contraire. Les voyageurs d’affaires sont en pause forcée, mais la demande reste énorme. À preuve, les voyages en avion d’affaires et privés ont augmenté d’environ 20 % par rapport à la période prépandémique.

Le besoin de renouer avec des partenaires commerciaux, des clients et d’établir de nouveaux contacts demeure impérieux. Un cadre rencontré par Perspectives, et qui se décrit lui-même comme un vieux routier des voyages d’affaires, affirme que les conférences virtuelles ne sont pas aussi efficaces pour établir des contacts avec de nouveaux clients ou fournisseurs. « Avec Zoom, il m’est impossible d’établir autant de contacts qu’auparavant, lorsque j’étais sur place à un congrès professionnel par exemple ». La nécessité d’établir des relations d’affaires, qui constituent le fondement même de l’activité commerciale, amènera les gens d’affaires à se déplacer à nouveau.

Donc, tout indique que le secteur du transport aérien va rebondir. Reste à voir à quel rythme, à quel niveau et à quel moment. Si la plupart des analystes et des observateurs s’accordent à dire que les réunions virtuelles remplaceront les conférences téléphoniques ainsi que certains déplacements pour affaires, ils estiment aussi que la majorité des gens renoueront avec leurs anciennes habitudes.

L’on s’attend à une augmentation des réunions combinant le virtuel et le présentiel, où la grande majorité des participants seront présents en personne. Car pour les « guerriers de la route » comme moi, les voyages pour assister à des conférences, à des rencontres stratégiques ou à des rendez-vous de l’industrie reviendront vite à l’agenda.

Je me prépare déjà à l’idée d’être arraché à mon sommeil à 5 heures du matin.

La pandémie a ouvert la porte au programme national de garderies inspiré du modèle québécois

Pendant la dernière campagne électorale, le gouvernement Trudeau a clairement affiché son intention d’instaurer un service de garde d’enfants à 10 dollars par jour. Cette promesse n’est pas née du hasard. Les sondeurs du Parti libéral du Canada ont certainement perçu les mêmes choses que l’équipe de recherche de Navigator.

Au lendemain des élections de 2021, nous avons rencontré plusieurs Canadiens pour comprendre pourquoi ils avaient voté pour les libéraux. Nous avons été frappés de constater que la pandémie de COVID-19, combinée aux augmentations de plus en plus répandues des prix des biens et des services, a aiguisé les inquiétudes des Canadiens au sujet des inégalités sociales et des obstacles financiers pour l’accès aux services essentiels, telle la garde d’enfants.

De plus, l’aide versée par le gouvernement fédéral pour compenser les effets dommageables de la pandémie a été tellement appréciée qu’elle a changé l’opinion des Canadiens au sujet de l’action des gouvernements. Désormais, les Canadiens veulent un état actif, qui intervient pour combattre les inégalités sociales.

C’est dans ce contexte que le gouvernement Trudeau a décidé de lancer un nouveau programme national de garde d’enfants à prix modique. Il est intéressant de se rappeler le chemin parcouru par le Québec, le précurseur de ce nouveau projet pancanadien.

En 1997, sous l’influence de Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation, le gouvernement de Lucien Bouchard lançait les garderies à 5 dollars. À l’époque, le débat autour des garderies subventionnées était des plus politisés. Certains allaient jusqu’à dire que le gouvernement péquiste voulait endoctriner les enfants dès le berceau… mais près de 25 ans plus tard, force est de constater que c’est Mme Marois qui avait vu juste.

Ce grand projet a eu un impact important sur le milieu du travail, plus précisément sur la carrière de milliers de femmes. En 2008, dix ans après la mise en place du programme des services de garde subventionnés, une étude réalisée par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke révélait que le programme avait incité plus de 70 000 mères à occuper un emploi, ce qui s’est traduit par une hausse du taux d’emploi global au Québec de 1,78 %, et une hausse du PIB de 5,1 milliards de dollars (« Les garderies à 7 dollars sont rentables, selon une étude », 2012). Près de vingt ans plus tard, soit en 2016, cette progression était encore plus marquée et 232 000 enfants fréquentaient les services de garde. La proportion de femmes âgées entre 20 et 44 ans ayant intégré le marché du travail était passée de 76% à 85 %, alors que cette proportion est restée à peu près la même, de 78 % à 80 %, dans les autres provinces canadiennes durant la même période (« Les CPE ont permis de faire reculer la pauvreté au Québec », 2017).

Depuis l’existence du programme dans la Belle Province, on remarque que le nombre de familles monoparentales recevant de l’aide sociale a chuté de 64 %. Plus encore, entre 1998 et 2014, le taux de pauvreté estpasséde38%à23% («Les CPE ont permis de faire reculer la pauvreté au Québec », 2017). Naturellement, il se trouvera toujours des détracteurs pour juger que la société québécoise paye beaucoup trop cher pour ce programme et que, ultimement, celui-ci devrait être revu en profondeur, sinon carrément aboli. Je répondrai à ceux-ci en m’appuyant sur l’opinion du distingué professeur américain James Heckman. Selon ce récipiendaire du Prix Nobel en économie, peu de politiques sociales offrent un meilleur rendement sur investissement. Toujours selon le professeur, les bénéfices du programme de CPE sont encore plus évidents lorsqu’il est question d’enfants issus de milieux défavorisés et que les services de garde offerts sont de qualité (« Analyse : les garderies à la rescousse de l’économie canadienne », 2021). Les propos du professeur Heckman sont corroborés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui considère que l’accès à des services de garde abordables se veut l’un des meilleurs moyens pour inciter les femmes à rejoindre le marché du travail. En fait, l’OCDE souligne qu’avant la mise en place des Centres de la petite enfance, le taux de participation des femmes au marché du travail accusait un retard de 2,7 points de pourcentage sur la moyenne canadienne, alors qu’en 2019, il la surpassait de 3,3 points. (« Analyse : les garderies à la rescousse de l’économie canadienne », 2021).

Il apparaît souhaitable que les concitoyens canadiens se dotent d’un service de garde de qualité comparable à celui instauré au Québec, mais cela devra se faire sans ingérence dans la gestion des CPE québécois et en offrant à la province la compensation financière qui lui revient.

Le projet mis en œuvre par le gouvernement Trudeau sera l’un des plus importants programmes sociaux à voir le jour au Canada depuis les 25 dernières années. Il n’aurait probablement pas vu le jour n’eut été de la pandémie et de son impact sur l’opinion publique canadienne.

Je ne peux m’empêcher de sourire en pensant qu’il sera calqué sur celui de Mme Marois, une souverainiste de la première heure. C’est pour dire… On est fait pour vivre ensemble !

Reconnaissance, résilience et audace

LE MOIS DU PATRIMOINE asiatique est une occasion pour tous les Canadiens d’en apprendre davantage sur les réalisations et la contribution culturelle importante des Canadiens d’origine asiatique. Bien que ces réalisations méritent toute notre admiration, il devient encore plus important cette année de faire front avec nos collègues et amis canadiens d’origine asiatique en réponse à la montée de la discrimination à leur égard.

Le thème du Mois du patrimoine asiatique de cette année est « Reconnaissance, résilience et audace ». Ce thème incarne bien les sentiments éprouvés par les personnes d’ascendance asiatique au Canada. Aussi, le gouvernement fédéral souhaite profiter de ce mois pour rendre hommage à leurs contributions et à leurs histoires, qui sont des modèles de résilience et de persévérance.

Nous vous présentons ici les récits personnels, fascinants et éclairants de trois de nos collègues, des récits qui font réfléchir et nous permettent de mieux comprendre l’importance que revêt pour ces Canadiens d’origines asiatique le Mois du patrimoine. Plus que n’importe quel communiqué de presse ou discours d’entreprise, les histoires ont ce pouvoir de susciter l’empathie et de rapprocher les gens. Nous espérons que celles-ci amèneront les lecteurs à prendre au sérieux les questions liées au racisme, à l’inclusion et au respect de la vie personnelle et professionnelle.

 

 

 

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Heon Lee, stagiaire

BIEN QU’IL SOIT important de reconnaître et de célébrer l’apport inestimable des Canadiens d’origine asiatique à la nation, le Mois du patrimoine asiatique de cette année va encore plus loin. Il nous invite à nous pencher sur des questions plus sensibles, à savoir les obstacles et les défis auxquels se heurtent les Canadiens d’origine asiatique.

« Nous partageons tous un héritage commun fait de diversités et de similitudes. Maintenant, pour changer les choses, il nous faut trouver des solutions et faire preuve de solidarité. »

Au cours de l’année écoulée, la montée de la haine, de la discrimination et de la violence envers les membres de la diaspora asiatique partout dans le monde s’est conjuguée aux effets dévastateurs de la pandémie de COVID-19. Les personnes d’ascendance asiatique sont devenues des boucs émissaires, se sont senties menacées et ont été victimes d’actes de racisme flagrants. À Vancouver, ville reconnue pour la présence historique de Canadiens d’origine asiatique, les crimes haineux contre cette communauté ont augmenté de 717 % en un an seulement, selon un rapport de la police de Vancouver.

Bien que j’aie la chance de ne pas avoir été victime d’agressions comme beaucoup d’autres, les histoires que j’ai entendues et les expériences vécues par d’autres membres de ma communauté m’interpellent. Les questions liées à l’ethnicité, à la citoyenneté et à mon identité culturelle m’intéressent de plus en plus au quotidien. Du fait de vivre dans une nation multiculturelle, je suis soudain devenu plus conscient des choses que je tenais autrefois pour acquises.

Bien que les expériences de chaque Canadien d’origine asiatique au cours de cette pandémie aient été différentes, nous partageons tous un héritage commun fait de diversités et de similitudes. Maintenant, pour changer les choses, il nous faut trouver des solutions et faire preuve de solidarité.

Cette année, le Mois du patrimoine asiatique nous offre l’occasion de nous réunir pour discuter des mesures à prendre pour résoudre les problèmes qui nous touchent, ainsi que pour réfléchir au sens à donner à l’héritage asiatique au Canada.

 

 

 

03_Inequality

 

Jamila Kanji, conseillère associée

DANS LE ANNÉES 1980, mes parents ont fait leurs valises et ont quitté l’Afrique de l’Est, laissant derrière eux leur maison, leur culture, leur famille et leurs amis. Ils sont arrivés au Canada avec quelques dollars en poche, mais beaucoup d’ambition, désireux de se construire une vie meilleure pour eux et leur future petite famille. Ils travaillaient le jour, étudiaient la nuit, s’habillaient dans les friperies et économisaient chaque dollar qu’ils pouvaient. Et déjà, ils avaient compris ce que veut dire « discrimination raciale ».

« Bien que le multiculturalisme soit un principe fondamental du Canada, les stéréotypes ont la vie dure et sont véhiculés pour nous définir d’une manière qui ne nous définit aucunement. »

Je suis fière d’avoir des parents qui ont immigré au Canada, qui ont tout risqué pour mes frères et moi-même, même si cela signifiait que nous devions arriver à l’aéroport plus tôt que les autres parce que nous serions contrôlés « aléatoirement » à la sécurité ; même si cela voulait dire éviter certains endroits sous peine qu’on nous lance un regard mauvais ou quelque chose de bien pire ; même si je savais que j’aurais à répéter une énième fois que je suis bien Canadienne et que je gagnerais moins d’argent qu’une femme issue de la majorité.

Notre histoire n’est pas exceptionnelle. Elle est celle de nombreuses autres personnes dévouées et travaillantes, qui ont tout abandonné pour entreprendre un nouveau voyage, qui ont choisi un pays plus sûr à une époque marquée par des bouleversements civils, sachant qu’elles seraient jugées en raison de leur accent, questionnées sur leur « vrai nom », et moins rémunérées que les autres dans des postes pour lesquels elles sont parfaitement qualifiées. Bien que le multiculturalisme soit un principe fondamental du Canada, le port du hijab et du turban ne cesse de faire l’objet de débats dans les provinces; les stéréotypes ont la vie dure et sont véhiculés pour nous définir d’une manière qui ne nous définit aucunement.

Y a-t-il des progrès ? Oui. Pouvons-nous faire mieux ? Absolument. J’ai espoir que les générations futures pourront fréquenter les écoles et travailler en sachant qu’elles sont tout aussi appréciées que leurs camarades appartenant à la majorité. Même si elles devront travailler dur, j’espère que les minorités seront bien représentées au cinéma, dans la littérature, dans les conseils d’administration des entreprises et partout ailleurs.

Le Mois du patrimoine asiatique nous donne l’occasion de réfléchir au travail qui a été accompli et à tout ce qui reste à faire. Plus encore, il nous permet de saluer le courage de ceux qui, comme mes parents, se sont aventurés dans l’inconnu avec rien d’autre que de l’espoir et des prières pour l’avenir.

 

 

 

04_Inclusion

 

Sabeen Thaver, conseillère

UN CONSEIL COURAMMENT donné aux nouveaux immigrants des pays asiatiques est le suivant : « Ne vous imaginez pas que vous obtiendrez un emploi de niveau comparable à celui que vous occupez actuellement. Pour trouver un emploi au Canada, vous devrez diminuer vos attentes ». Très souvent, parce qu’ils ne possèdent pas d’expérience au Canada, les nouveaux arrivants doivent accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Plusieurs entreprises hésitent encore à embaucher ces professionnels venus d’ailleurs, et ne semblent pas encore prêtes à composer avec les valeurs de diversité, d’équité et d’inclusion.

Plus d’un Canadien sur cinq est né à l’étranger et environ six immigrants récents sur dix ont été admis au Canada à titre d’immigrants économiques. Il faut savoir que les immigrants économiques sont sélectionnés sur la base de leur parcours scolaire et professionnel exceptionnel. Ces immigrants choisissent le Canada parce qu’ils sont à la recherche d’un pays plus sûr qui offre des opportunités économiques.

Le Toronto Region Immigrant Employment Council (TRIEC) est un groupe qui encourage les organisations à devenir plus inclusives et qui aide les nouveaux arrivants à s’épanouir professionnellement, notamment en les accompagnant dans le développement de leurs réseaux. Le TRIEC considère que deux facteurs sont essentiels à la réussite du parcours professionnel d’un immigrant : l’influence exercée par les cadres intermédiaires pour favoriser le sentiment d’inclusion et le rendement de l’immigrant; et la volonté de la haute direction qui établit la vision et la stratégie de l’organisation. Cette conclusion s’appuie sur des données probantes, ainsi que sur des entretiens avec des cadres intermédiaires et des responsables de la diversité et de l’inclusion, dont certains sont eux-mêmes des immigrants.

« Les organisations qui négligent de se doter d’une vraie stratégie de diversité et d’inclusion, exempte de préjugés et de discrimination, se retrouveront bientôt à la traîne. »

« Lors d’un entretien pour un emploi à salaire minimum, j’ai demandé à un responsable du recrutement s’il y avait un poste au sein de l’entreprise où je pourrais mettre à contribution mes compétences en marketing et en communication. Le gestionnaire m’a répondu que je n’avais pas d’expérience canadienne et qu’il fallait que je commence quelque part », a écrit un participant.

« Le conseil le plus fréquemment donné aux immigrants qui souhaitent progresser au sein d’une organisation est de faire preuve de gratitude. Je trouve que c’est un conseil intéressé : l’on ne devrait se sentir gêné de demander davantage, que ce soit en termes de salaire ou de responsabilités », a écrit un autre participant. Les séances de formation occasionnelles ne suffiront pas à défaire les préjugés. Il faut un engagement général et soutenu de la part de cadres intermédiaires qui sont favorables à l’intégration de la diversité. Le recrutement et la promotion de talents divers, ainsi que la promotion de la diversité des points de vue, sont autant d’éléments qui doivent être pris en compte. De même, les dirigeants doivent accorder aux cadres intermédiaires les moyens nécessaires pour cerner les problèmes qui font obstacle à l’adoption de comportements inclusifs.

Une chose est sûre, le Canada a toutes les cartes en main pour agir. Les professionnels issus de l’immigration qui ont déjà une expérience internationale sont un atout certain et les gestionnaires ont tout à gagner à s’ouvrir à cette main-d’œuvre diversifiée. Les organisations qui négligent de se doter d’une vraie stratégie de diversité et d’inclusion, exempte de préjugés et de discrimination, se retrouveront bientôt à la traîne.

En préparant son budget cette année, le gouvernement fédéral pose des questions différentes. Doit-on s’attendre à une attitude différente de la part des entreprises canadiennes ?

C’EST LA SAISON du budget à Ottawa et les spéculations vont bon train sur le calendrier des prochaines élections fédérales et sur les engagements que prendra le gouvernement pour rebâtir notre économie. Dans les salons de la capitale nationale, prédire la date à laquelle les Canadiens iront aux urnes est devenu le passe-temps favori. D’ici le jour du budget, le 19 avril, on aura droit à des analyses quotidiennes approfondies des déclarations des chefs, on soupèsera l’effet de certaines mesures budgétaires appréhendées sur l’opinion publique et sur le résultat électoral dans des circonscriptions comme Nova-Ouest, Shefford ou Aurora-Oak Ridges-Richmond Hill.

« Si la pandémie nous a fait prendre conscience de l’importance d’avoir un secteur public fort, elle a aussi montré que les gouvernements ne peuvent à eux seuls faire le travail. »

Si nous faisons abstraction de la course électorale pour un instant, il y a lieu de se demander en quoi la campagne budgétaire de cette année diffère de celles des années précédentes. La pandémie de COVID-19 a révélé des failles profondes dans la prestation des services sociaux et de santé les plus essentiels. Des industries entières ont été contraintes de se mettre à genoux. Et les gouvernements du monde entier ont dû reconnaître que les réponses politiques habituelles ne suffisent tout simplement pas pour relever les défis qui se présentent à nous. Si la pandémie nous a fait prendre conscience de l’importance d’avoir un secteur public fort, elle a aussi montré que les gouvernements ne peuvent à eux seuls faire le travail. Le Canada a surtout besoin que la reconstruction de son économie et la refonte de ses politiques publiques se fassent dans le cadre d’une approche globale de la société.

Dans son discours, le gouvernement fédéral semble vouloir procéder à des changements en profondeur dans un certain nombre de secteurs stratégiques. L’idée de rebâtir en mieux lui permet d’envisager de nouvelles approches sur les questions d’énergie et de changement climatique, par exemple, ou de soutien au revenu et à l’emploi, ou encore en matière d’infrastructure. Mais pour mener à bien ces transitions, il lui faudra établir des partenariats solides avec des entreprises qui profiteront également de l’occasion pour se transformer.

En fait, le gouvernement a déjà commencé à préciser ses attentes. Au cours de la dernière année seulement, il a lancé une nouvelle initiative, le Défi 50-30, afin d’accroître la diversité au sein des entreprises canadiennes. Il a également mis sur pied un nouveau Conseil d’action public-privé pour faciliter le financement durable au Canada. Le gouvernement a également demandé à la Banque canadienne d’infrastructure de collaborer avec le secteur privé afin de déployer des services à large bande en milieu rural et d’investir dans la production d’énergie propre. La question essentielle est de savoir si le gouvernement réussira à dénicher des partenaires.

Tout au long de la pandémie, de très nombreuses entreprises canadiennes ont démontré qu’elles étaient capables de relever le défi. Elles se sont adaptées à la situation et ont mis au point de nouveaux produits, fourni de nouveaux services et se sont réorganisées. Mais trop souvent, ces entreprises sont abandonnées par certains intervenants dont les demandes au gouvernement ne prennent pas en compte le fait que le monde a fondamentalement changé depuis ces 12 derniers mois. D’ailleurs, nombre de leurs exigences budgétaires pour 2021 ressemblent à celles du  programme de productivité et de compétitivité du début des années 2000 ou du programme d’innovation du début des années 2010, mais présentées sous les oripeaux de la COVID-19.

Heureusement, un nombre croissant de chefs d’entreprise canadiens comprennent le changement qui est attendu de leur part. Ils savent que, pour établir un partenariat avec le gouvernement dans ce monde post-pandémique, ils doivent regarder plus loin que leurs rapports trimestriels et adopter une approche de gestion qui s’appuie sur une mission d’entreprise. Ils sont prêts à participer à la discussion et ont la volonté de s’adapter. Ces leaders souhaitent voir leur entreprise contribuer au bien-être de toutes les parties prenantes et considèrent l’équité, la diversité et l’inclusion comme des valeurs phares de leur développement. Tout aussi important, ils reconnaissent que le gouvernement actuel a la volonté politique d’apporter des changements systémiques d’envergure qui auront des répercussions dans divers secteurs. Ils savent aussi que ceux qui ne sont pas prêts à accepter ces changements risquent de se les voir imposer.

L’ancien Premier ministre Joe Clark rappelait souvent à ses conseillers que, lorsque l’on s’engage dans un débat portant sur une politique, il faut choisir entre marquer son point et apporter une réelle amélioration. Faire valoir son point donne à l’intervenant la possibilité de se concentrer sur les seuls besoins de son entreprise ou de son secteur, sans être gêné par des considérations extérieures. La demande est simple, mais elle laisse l’intervenant à l’écart de l’enjeu global. Le succès est possible, mais l’intervenant a moins de poids dans la décision.

Apporter une réelle contribution, en revanche, exige de l’intervenant qu’il formule sa participation en vue de résoudre le problème lié à la politique, et pas seulement en vue d’obtenir un avantage. Cela exige de l’ouverture et de la flexibilité, ainsi qu’un souci du bien public, pas seulement du gain privé. Ce sont précisément ces types d’intervenant qui deviennent des partenaires de confiance et d’influence. Et ce sont leurs initiatives qui ont le plus de chances d’être reconnues par la ministre Freeland dans son discours du 19 avril et par le gouvernement dans les mois et les années à venir.

Qu’elle se tienne au printemps ou à l’automne, la campagne électorale fédérale ne sera qu’une distraction passagère qui ne devrait pas détourner notre attention de la réflexion de fond et d’une vision à long terme qui s’imposent afin de nous relever de la pandémie. Au cours des prochains mois, la véritable affaire à surveiller sera le comportement de nos dirigeants du secteur public, qui devront démontrer du courage pour modifier leur approche en matière de politiques publiques, et ceux du secteur privé, qui devront faire preuve de créativité pour relever les défis qui s’annoncent.

Regarder au-delà des chiffres

CETTE ANNÉE, le thème de la Journée internationale de la femme est « Choisir de défier », une invitation à remettre en question et à dénoncer les préjugés sexistes et les inégalités dont nous sommes témoins. Bien que tout à fait noble, cet appel à l’action peut être difficile à mettre en pratique : les discussions sur l’équité, la diversité et l’inclusion sont des sujets très sensibles, en particulier dans les entreprises.

« Donner la priorité à l’équité des genres, c’est s’engager à aller plus loin que la parité de représentation. C’est accepter de remettre en question l’idée selon laquelle la parité et l’équité ne font qu’un. »

À défaut de débattre, les entreprises canadiennes préfèrent se reposer sur les chiffres. La représentation proportionnelle entre hommes et femmes, ou la parité, est devenue la règle d’or au sein des conseils d’administration. Car la parité est visible. Elle est mesurable. Et, avouons-le, pouvoir affirmer que son entreprise a atteint la parité hommes-femmes peut devenir une arme stratégique non négligeable.

La discussion sur des sujets plus abstraits comme la culture, l’acceptation, le respect et l’inclusion est beaucoup plus difficile, voire compliquée. Mais elle est néanmoins nécessaire. Donner la priorité à l’équité des genres, c’est s’engager à aller plus loin que la parité de représentation. C’est accepter de remettre en question l’idée selon laquelle la parité et l’équité ne font qu’un.

En matière de parité, le Canada est loin d’être parfait. En apparence, nous faisons relativement bien, le Canada se classant au 20e rang des pays selon le Global Gender Gap Index du Forum économique mondial.1 Toutefois, il y a encore beaucoup d’efforts à faire chez nous pour combler l’écart entre les sexes. En janvier, une série de reportages du Globe and Mail intitulée The Power Gap révélait que les hommes étaient surreprésentés dans les emplois bien rémunérés, les équipes de direction et les organisations de premier plan et ce, aussi bien dans les entreprises publiques que dans les gouvernements, les municipalités et les universités.2

Mais ceci n’est qu’un élément parmi d’autres. L’enquête du Globe nous montre que les femmes doivent surmonter bien d’autres obstacles pour réussir. La journaliste Robyn Doolittle raconte l’histoire de cette femme qui a été sanctionnée pour avoir dénoncé un cadre masculin qui l’intimidait. Elle fait aussi le récit d’une scientifique qui s’est vue refuser un budget de recherche, mais à qui l’on a demandé de figurer dans les documents promotionnels de l’entreprise qui souhaitait paraître « plus inclusive ». Doolittle rapporte également l’histoire d’une gestionnaire dont la promotion a été annulée par son patron, frustré de la savoir enceinte.

Bien qu’une politique de parité puisse corriger partiellement le problème de représentativité des femmes dans les postes de direction, les autres barrières à l’ascension des femmes demeurent : des barrières qui sont de nature culturelle et structurelle. Dans les cas illustrés ci-dessus, on voit bien que ce sont les individus qui ont eu des comportements inéquitables, mais ce sont la culture et la structure organisationnelle qui ont permis qu’ils se produisent.

Le problème reste entier lorsque les solutions se limitent à la parité, cette nouvelle « porte de sortie » pour les directions. Une entreprise peut bien se vanter de remplir ses obligations parce qu’elle compte un nombre égal d’hommes et de femmes à certains postes. Mais ces femmes sont-elles aussi bien payées que leurs homologues masculins ? Leur confie-t-on des projets aussi intéressants ou aussi rentables ? Sont-elles écartées des présentations d’entreprise ? Les chiffres rendus publics sont muets à ce chapitre.

Voilà pourquoi il est nécessaire que les politiques de parité s’accompagnent de changements culturels et structurels véritables. Derrière l’écran des chiffres, des slogans et des « réussites exceptionnelles », il y a des zones d’ombre qu’il faut éclairer. Et cela exige des organisations qu’elles fassent un travail d’introspection, qu’elles s’auto-analysent longuement et froidement, un travail qui peut s’avérer gênant, inconfortable, voire risqué.

Pour les entreprises qui choisissent de se livrer à un tel exercice, quels sont les obstacles à appréhender ?

Il y en a une foule, car chaque organisation est différente. Certaines pourraient découvrir que leur service des ressources humaines n’encourage pas, ou pire, entretient chez le personnel la peur de dénoncer une injustice, qu’elle soit vécue ou observée. L’on pourrait aussi réaliser que l’on accorde plus facilement le bénéfice du doute aux employés haut placés, que ceux qui se plaignent sont catalogués comme de perpétuels râleurs, ou encore, se rendre compte que les personnes qui soulèvent un problème se font souvent dire de le régler elles-mêmes.

Dans les bureaux où il y a une surcharge de travail, on s’attend généralement à ce que les employés restent tard, travaillent le week-end ou ne prennent pas tous les congés auxquels ils ont droit. Mais les employés qui offrent cette flexibilité à leur employeur n’ont habituellement pas d’enfants ni d’obligations, familiales ou autres, à remplir. Tout le monde ne peut se montrer aussi flexible, que ce soit en termes de disponibilité physique ou de temps. Dans ce contexte, les personnes qui ont des enfants à charge, dont une majorité sont des femmes, sont désavantagées.

Pour de nombreuses institutions et organisations canadiennes, offrir l’équité salariale peut constituer un problème en soi. Selon Statistique Canada Statistique Canada, les femmes gagnent en moyenne environ 89 cents pour chaque dollar gagné par leur contrepartie masculine.3 Certains écarts sont encore plus dramatiques. Par exemple, une étude des plus grands cabinets juridiques du Canada a révélé que les associées de sexe féminin peuvent gagner jusqu’à 25 % de moins, soit environ 200 000 dollars, que leurs collègues masculins.4 On attribue cet écart à un manque de transparence sur les salaires et à une confusion en ce qui a trait aux objectifs de performance. Mais la culture organisationnelle semble aussi y être pour quelque chose : la journaliste Doolittle a ressorti de nombreuses études démontrant que les femmes sont jugées plus négativement lorsqu’elles tentent de négocier leur rémunération.

Un examen approfondi des cultures organisationnelles pourrait également révéler que les dirigeants ont tendance à préférer certaines caractéristiques, des manières d’agir, des façons de parler, voire certaines personnes, à d’autres. L’exemple le plus typique, mais qui n’est pas le seul, est celui du « boy’s club » qui encourage, et même promeut des comportements stéréotypés. Dans le meilleur des cas, la présence de normes culturelles aussi fortement ancrées au travail peut donner à certains le sentiment d’être des étrangers. Dans le pire des scénarios, cela peut créer des environnements propices à des comportements de harcèlement et d’intimidation débridés.

Je ne vous ai présenté que quatre petits exemples qui démontrent que la parité n’est pas la panacée universelle et que la solution réside plutôt dans les changements culturels et structurels. Ces derniers profitent à tout le monde, et pas seulement aux femmes et aux personnes racisées. Nous pouvons tous être solidaires des interventions des ressources humaines lorsqu’un événement se produit ou lorsque des problèmes sont soulevés. Avec la pandémie, nous avons fait la preuve que nous sommes capables de souplesse en ce qui concerne les horaires et les espaces de travail. L’équité salariale assure des conditions de travail équitables et l’adoption d’une culture plus ouverte permet à tous de se présenter sous son vrai jour au bureau.

Le changement exige des efforts concertés et du temps, mais le fait d’y adhérer peut améliorer la situation d’une organisation à bien des égards : rétention du personnel, moral des employés, résultats financiers, etc. Le processus de changement n’est certes pas facile, mais il en vaut la peine. Cette année, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, nous devrions nous engager à changer là où ça compte vraiment et commencer sérieusement à regarder au-delà les chiffres.

[1] http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2020.pdf[2] https://www.theglobeandmail.com/canada/article-power-gap/[3] https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1410034002&request_locale=fr[4] https://www.theglobeandmail.com/canada/article-female-partners-earn-less-than-male-colleagues-at-big-law-firm/