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Regarder au-delà des chiffres

8 mars 2021
Andrea Ernesaks
Andrea Ernesaks | DIRECTRICE ASSOCIÉE
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Scale illustration with men and women's gender symbols

CETTE ANNÉE, le thème de la Journée internationale de la femme est « Choisir de défier », une invitation à remettre en question et à dénoncer les préjugés sexistes et les inégalités dont nous sommes témoins. Bien que tout à fait noble, cet appel à l’action peut être difficile à mettre en pratique : les discussions sur l’équité, la diversité et l’inclusion sont des sujets très sensibles, en particulier dans les entreprises.

« Donner la priorité à l’équité des genres, c’est s’engager à aller plus loin que la parité de représentation. C’est accepter de remettre en question l’idée selon laquelle la parité et l’équité ne font qu’un. »

À défaut de débattre, les entreprises canadiennes préfèrent se reposer sur les chiffres. La représentation proportionnelle entre hommes et femmes, ou la parité, est devenue la règle d’or au sein des conseils d’administration. Car la parité est visible. Elle est mesurable. Et, avouons-le, pouvoir affirmer que son entreprise a atteint la parité hommes-femmes peut devenir une arme stratégique non négligeable.

La discussion sur des sujets plus abstraits comme la culture, l’acceptation, le respect et l’inclusion est beaucoup plus difficile, voire compliquée. Mais elle est néanmoins nécessaire. Donner la priorité à l’équité des genres, c’est s’engager à aller plus loin que la parité de représentation. C’est accepter de remettre en question l’idée selon laquelle la parité et l’équité ne font qu’un.

En matière de parité, le Canada est loin d’être parfait. En apparence, nous faisons relativement bien, le Canada se classant au 20e rang des pays selon le Global Gender Gap Index du Forum économique mondial.1 Toutefois, il y a encore beaucoup d’efforts à faire chez nous pour combler l’écart entre les sexes. En janvier, une série de reportages du Globe and Mail intitulée The Power Gap révélait que les hommes étaient surreprésentés dans les emplois bien rémunérés, les équipes de direction et les organisations de premier plan et ce, aussi bien dans les entreprises publiques que dans les gouvernements, les municipalités et les universités.2

Mais ceci n’est qu’un élément parmi d’autres. L’enquête du Globe nous montre que les femmes doivent surmonter bien d’autres obstacles pour réussir. La journaliste Robyn Doolittle raconte l’histoire de cette femme qui a été sanctionnée pour avoir dénoncé un cadre masculin qui l’intimidait. Elle fait aussi le récit d’une scientifique qui s’est vue refuser un budget de recherche, mais à qui l’on a demandé de figurer dans les documents promotionnels de l’entreprise qui souhaitait paraître « plus inclusive ». Doolittle rapporte également l’histoire d’une gestionnaire dont la promotion a été annulée par son patron, frustré de la savoir enceinte.

Bien qu’une politique de parité puisse corriger partiellement le problème de représentativité des femmes dans les postes de direction, les autres barrières à l’ascension des femmes demeurent : des barrières qui sont de nature culturelle et structurelle. Dans les cas illustrés ci-dessus, on voit bien que ce sont les individus qui ont eu des comportements inéquitables, mais ce sont la culture et la structure organisationnelle qui ont permis qu’ils se produisent.

Le problème reste entier lorsque les solutions se limitent à la parité, cette nouvelle « porte de sortie » pour les directions. Une entreprise peut bien se vanter de remplir ses obligations parce qu’elle compte un nombre égal d’hommes et de femmes à certains postes. Mais ces femmes sont-elles aussi bien payées que leurs homologues masculins ? Leur confie-t-on des projets aussi intéressants ou aussi rentables ? Sont-elles écartées des présentations d’entreprise ? Les chiffres rendus publics sont muets à ce chapitre.

Voilà pourquoi il est nécessaire que les politiques de parité s’accompagnent de changements culturels et structurels véritables. Derrière l’écran des chiffres, des slogans et des « réussites exceptionnelles », il y a des zones d’ombre qu’il faut éclairer. Et cela exige des organisations qu’elles fassent un travail d’introspection, qu’elles s’auto-analysent longuement et froidement, un travail qui peut s’avérer gênant, inconfortable, voire risqué.

Pour les entreprises qui choisissent de se livrer à un tel exercice, quels sont les obstacles à appréhender ?

Il y en a une foule, car chaque organisation est différente. Certaines pourraient découvrir que leur service des ressources humaines n’encourage pas, ou pire, entretient chez le personnel la peur de dénoncer une injustice, qu’elle soit vécue ou observée. L’on pourrait aussi réaliser que l’on accorde plus facilement le bénéfice du doute aux employés haut placés, que ceux qui se plaignent sont catalogués comme de perpétuels râleurs, ou encore, se rendre compte que les personnes qui soulèvent un problème se font souvent dire de le régler elles-mêmes.

Dans les bureaux où il y a une surcharge de travail, on s’attend généralement à ce que les employés restent tard, travaillent le week-end ou ne prennent pas tous les congés auxquels ils ont droit. Mais les employés qui offrent cette flexibilité à leur employeur n’ont habituellement pas d’enfants ni d’obligations, familiales ou autres, à remplir. Tout le monde ne peut se montrer aussi flexible, que ce soit en termes de disponibilité physique ou de temps. Dans ce contexte, les personnes qui ont des enfants à charge, dont une majorité sont des femmes, sont désavantagées.

Pour de nombreuses institutions et organisations canadiennes, offrir l’équité salariale peut constituer un problème en soi. Selon Statistique Canada Statistique Canada, les femmes gagnent en moyenne environ 89 cents pour chaque dollar gagné par leur contrepartie masculine.3 Certains écarts sont encore plus dramatiques. Par exemple, une étude des plus grands cabinets juridiques du Canada a révélé que les associées de sexe féminin peuvent gagner jusqu’à 25 % de moins, soit environ 200 000 dollars, que leurs collègues masculins.4 On attribue cet écart à un manque de transparence sur les salaires et à une confusion en ce qui a trait aux objectifs de performance. Mais la culture organisationnelle semble aussi y être pour quelque chose : la journaliste Doolittle a ressorti de nombreuses études démontrant que les femmes sont jugées plus négativement lorsqu’elles tentent de négocier leur rémunération.

Un examen approfondi des cultures organisationnelles pourrait également révéler que les dirigeants ont tendance à préférer certaines caractéristiques, des manières d’agir, des façons de parler, voire certaines personnes, à d’autres. L’exemple le plus typique, mais qui n’est pas le seul, est celui du « boy’s club » qui encourage, et même promeut des comportements stéréotypés. Dans le meilleur des cas, la présence de normes culturelles aussi fortement ancrées au travail peut donner à certains le sentiment d’être des étrangers. Dans le pire des scénarios, cela peut créer des environnements propices à des comportements de harcèlement et d’intimidation débridés.

Je ne vous ai présenté que quatre petits exemples qui démontrent que la parité n’est pas la panacée universelle et que la solution réside plutôt dans les changements culturels et structurels. Ces derniers profitent à tout le monde, et pas seulement aux femmes et aux personnes racisées. Nous pouvons tous être solidaires des interventions des ressources humaines lorsqu’un événement se produit ou lorsque des problèmes sont soulevés. Avec la pandémie, nous avons fait la preuve que nous sommes capables de souplesse en ce qui concerne les horaires et les espaces de travail. L’équité salariale assure des conditions de travail équitables et l’adoption d’une culture plus ouverte permet à tous de se présenter sous son vrai jour au bureau.

Le changement exige des efforts concertés et du temps, mais le fait d’y adhérer peut améliorer la situation d’une organisation à bien des égards : rétention du personnel, moral des employés, résultats financiers, etc. Le processus de changement n’est certes pas facile, mais il en vaut la peine. Cette année, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, nous devrions nous engager à changer là où ça compte vraiment et commencer sérieusement à regarder au-delà les chiffres.

[1] http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2020.pdf[2] https://www.theglobeandmail.com/canada/article-power-gap/[3] https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1410034002&request_locale=fr[4] https://www.theglobeandmail.com/canada/article-female-partners-earn-less-than-male-colleagues-at-big-law-firm/

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À propos de l'auteur :

Andrea Ernesaks
Andrea Ernesaks | DIRECTRICE ASSOCIÉE
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En tant que directrice associée, Andrea met à profit une solide expérience acquise au sein du gouvernement, des compétences en communication et une aisance avec les médias lui permettant de résoudre les problèmes de façon créative et d’exceller en situation dynamique à haut niveau de stress.

Pendant ses nombreuses années de travail au service du gouvernement, Andrea a exercé diverses fonctions liées aux médias et à la gestion des enjeux.

Plus récemment, Andrea a occupé le poste d’attachée de presse et de directrice des relations avec les médias pour la première ministre de l'Ontario. Elle avait la responsabilité de conseiller la première ministre et son équipe sur le plan des communications et des relations avec la presse. Précédemment, Andrea avait joué un rôle clé au sein du Bureau de gestion des questions d’intérêt de la première ministre, alors qu’elle était chargée de fournir des conseils de gestion du risque sur les enjeux quotidiens et à plus long terme du gouvernement.

Également, Andrea a rempli les fonctions d’attachée de presse, de gestionnaire des enjeux et d’adjointe législative pour le ministre des Transports. À ce titre, elle a aidé le gouvernement à adopter d’importantes mesures législatives, notamment la Loi visant à accroître la sécurité routière en Ontario, qui prévoit des peines plus sévères pour les conducteurs distraits et aux facultés affaiblies. Elle a également participé à l'élaboration et à la mise en œuvre de stratégies de communication publique pour des projets de transport prioritaires tels que la ligne TLR Eglinton Crosstown, le Service régional express dans la RGTH et le train à grande vitesse entre Toronto et Windsor.

Andrea a participé activement à de nombreuses campagnes politiques provinciales, notamment en tant qu’attachée de presse dans l’autobus des médias lors des élections provinciales de 2018.

Andrea est titulaire d'un baccalauréat et d'une maîtrise ès arts avec spécialisation en sciences politiques de l'Université Western. Elle a y été membre de l'équipe universitaire d’aviron. Bien que fière native d'Ottawa, Andrea a commencé sa carrière dans le milieu gouvernemental à titre de stagiaire non partisane à l’Assemblée législative de Queen's Park.

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