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Il devient de plus en plus épineux pour Justin Trudeau de marcher sur la corde raide de Donald Trump

M. Trump verra assurément dans l’engagement de M. Trudeau d’augmenter les dépenses dans la défense un argument tactique non seulement à l’égard des négociations de l’ALÉNA à venir, mais également à celui des négociations futures avec son gouvernement.

Cet article est d’abord paru dans le Toronto Star le 11 juin 2017.

La semaine dernière, le ministre de la Défense Harkit Sajjan a annoncé l’engagement du gouvernement Libéral à augmenter de plus de 70 pour cent le budget affecté à la défense d’ici 10 ans, soit un bond annuel de 18,9 à 37,2 milliards de dollars.

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a indiqué que cette augmentation découlait de la volonté du Canada de jouer un rôle de chef de file mondial — alors que les États-Unis effectuent un repli.

Alors que les États-Unis reculent devant leurs engagements à tire de chef de file mondial, madame Freeland argue que le Canada doit se lever, faire sa part et élaborer son propre plan d’action.

Les États-Unis semblent être de plus en plus à la traîne sur le plan international et se ranger du mauvais côté de l’histoire.

La plus grande économie mondiale menace de se retirer de l’Organisation mondiale du commerce. Le président des États-Unis refuse de s’engager à respecter le principe fondamental de l’OTAN. Le pays s’est officiellement retiré de l’Accord de Paris sur les changements climatiques et du Partenariat transpacifique. Et l’amitié virile de Donald Trump avec les autocrates de la planète place de plus en plus les États-Unis en marge des organisations multilatérales internationales.

Dans son allocution à la Chambre des Communes mardi, madame Freeland a évoqué l’augmentation des sommes affectées à la défense lorsqu’elle a affirmé que « se fier uniquement au bouclier protecteur des États-Unis ferait de nous un État client » et « une telle dépendance ne serait pas dans l’intérêt du Canada ».

L’allocution de madame Freeland et l’annonce de monsieur Sajjan sont une admission du fait que les États-Unis ne sont plus un allié prévisible et fiable, qu’ils adoptent une direction fondamentalement différente de celle du Canada et des autres pays développés et que le moment est venu pour le Canada de défendre ses positions.

Madame Freeman est claire : le moment est venu pour le Canada d’être un leader.

En bref, c’est le discours auquel le gouvernement souhaite que les Canadiens s’accrochent. Et force est de reconnaître que le message commence à faire son effet.

Mais il pourrait y avoir autre chose en jeu.

Depuis la campagne présidentielle, le président Trump remet vigoureusement en question l’article 5 de l’OTAN. Il a qualifié ce dernier de désuet, argue que 23 des 28 nations membres n’affectent pas suffisamment d’argent à la défense et laisse entendre que même si elles commençaient à y mettre deux pour cent de leur PIB, cela ne suffirait pas.

L’an dernier, la contribution du Canada atteignait 1,19 pour cent de son PIB. L’annonce de la semaine dernière portera le budget affecté à la défense à 1,4 pour cent, soit une augmentation substantielle.

Les hauts représentants de la Maison Blanche ont rapidement accueilli favorablement l’annonce du Canada. Le secrétaire d’État américain à la Défense James Mattis s’est dit « rassuré par les nouvelles concernant la politique du Canada en matière de défense » et un porte-parole de la Maison Blanche a publié sur son compte Twitter que l’augmentation des dépenses du Canada en matière de défense indiquait que les efforts de monsieur Trump commençaient à porter leurs fruits.

M. Trump, qui ne se lasse pas de nous rappeler qu’il est un négociateur hors pair, verra assurément dans l’engagement de M. Trudeau d’augmenter les dépenses dans la défense un argument tactique non seulement à l’égard des négociations de l’ALÉNA à venir, mais également à l’égard des négociations futures avec son gouvernement.

Dans un éclair de génie stratégique, M. Trudeau et ses ministres ont réussi à élaborer un exposé narratif au sujet de l’indépendance et du multilatéralisme du Canada — Le « Modèle canadien » — tout en apaisant M. Trump grâce à un engagement dont l’enjeu est central pour son administration.

Les acteurs politiques savent que les politiques intérieures prévalent sur les politiques étrangères.

Et au pays, M. Trudeau ne demanderait pas mieux que d’être vu comme l’anti-Trump.

Il n’a toutefois pas le loisir de critiquer publiquement le président américain, comme l’ont fait ses homologues Français et Allemand. Les enjeux sont tout simplement trop grands pour le Canada.

Lorsqu’il s’agit des relations États-Unis – Canada, il est plus difficile que jamais pour le premier ministre et son gouvernement d’obtenir l’appui des Canadiens sans se mettre à dos nos voisins du sud.

Ce à quoi nous avons assisté la semaine dernière illustre très bien le défi ce que cela représente. Il est clair que l’exercice d’équilibrisme de M. Trudeau n’est pas appelé à devenir plus aisé dans l’avenir.

Jaime Watt est président exécutif de Navigator Ltd. et stratège conservateur.

Ce que nous avons à apprendre de Jon Jones en matière d’intervention de crise

Le 6 juin 2016, quelques jours à peine avant l’un des combats les plus médiatisés de l’UFC, le vice-président de la santé et de la performance des athlètes de l’UFC a annoncé en point de presse que Jon Jones, ancien champion des poids mi-lourds, n’affronterait pas le champion en titre Daniel Cormier parce qu’il avait échoué un test antidopage.

Jones a eu droit à une suspension d’un an, qui est toujours en vigueur, mais l’UFC a déjà annoncé qu’il affrontera Daniel Cormier pour la ceinture à l’occasion de l’UFC 214. À la suite de la conférence de presse relative à l’UFC 214, les fans ont acclamé le retour de Jones et l’on s’attend à ce que ce combat soit le plus regardé de toute l’histoire de l’UFC.

Comment cela a-t-il pu arriver? Comment celui qu’on a accusé de tricher et qui a des antécédents de scandales publics a-t-il pu rétablir sa réputation et regagner la confiance et l’admiration des fans? En réponse aux allégations de l’agence américaine antidopage (USADA), Jones a respecté plusieurs règles de l’intervention de crise : il a pris les devants, il a fait preuve de sincérité, d’honnêteté et d’authenticité; et ses déclarations dont demeurées cohérentes.

Au départ, l’annonce concernant le test antidopage laissait présager la fin pour cet ancien champion. Après avoir été retiré auparavant d’un autre combat contre Cormier pour avoir consommé de la cocaïne et s’être vu infliger une peine de probation pour un délit de fuite non mortel, cette dernière épreuve avait, pour les fans et l’UFC, toutes les allures d’un coup fatal. La présidente de l’UFC, Dana White, l’a même évoqué en affirmant que Jones « ne serait plus jamais une tête d’affiche ».

Moins de 24 heures après l’annonce concernant la présence de substances augmentant la performance, Jones a clamé son innocence. Il avait les yeux vitreux, sa voix cassait fréquemment et il a fondu en larmes à quelques reprises. C’était un côté de l’athlète que le public avait rarement vu auparavant. Connu pour son parcours sans faute et son attitude arrogante, Jones, qui avait remporté son premier championnat de l’UFC à l’âge de 23 ans (le plus jeune champion de tous les temps), était désormais un paria et un tricheur. Il perdrait non seulement la rémunération dans les six chiffres que lui aurait value l’UFC 200, mais il risquait une suspension de deux ans. Son moyen de subsistance était en jeu, mais peut-être plus important encore, sa réputation était en ruines; il était temps que ce combattant possédant des capacités si exceptionnelles soit accusé de tricherie; son talent surnaturel était probablement attribuable à l’usage de stéroïdes.

Dès le départ, Jones se disait innocent, arguant que soit les résultats du test étaient erronés ou soit il avait pris un supplément sans le savoir. Dans un cas comme dans l’autre, Jones ne serait pas coupable de cette tricherie alléguée et subirait une punition plus clémente, le cas échéant. Également, sur le plan de l’opinion publique, l’une ou l’autre de ces deux explications aurait pour effet d’exonérer l’athlète et de rétablir sa réputation.

En répondant aux questions des journalistes, Jones a dû s’arrêter à plusieurs reprises pour se ressaisir et essuyer ses larmes. D’une voix tremblante, il s’est excusé auprès de ses fans et des détenteurs de billets, a parlé des nombreux échelons qu’il aurait à gravir de nouveau pour prouver la légitimité de ses victoires. Il s’est aussi excusé auprès de son adversaire, Daniel Cormier. Jones s’est complètement effondré, réussissant à peine à prononcer les mots « je suis désolé » tout en essuyant ses larmes. Cormier, ancien lutteur olympique de 38 ans reconnu pour son professionnalisme et son positivisme, a été un excellent faire-valoir pour le petit arriviste de Jones. À 29 ans, Jones était connu pour ses frasques et ses critiques envers ses adversaires (il s’est vanté d’avoir battu Cormier « une semaine après avoir fait de la coke »). Mais ce moment de vulnérabilité a permis au public de se rapprocher de Jones et de comprendre sa détresse; il a donné de la crédibilité à l’histoire.

En fin de compte, Cormier a pardonné Jones. Il a dit que l’ancien champion était leur seul adversaire qu’il souhaitait vraiment affronter et qu’il attendrait la fin de sa suspension pour ce faire. Cormier a ainsi aidé les fans délaissés à pardonner Jones; ils voulaient voir le combat, ils avaient payé pour le voir et ils pourraient toujours y avoir accès, mais simplement à une date ultérieure.

Tous au long du processus – le premier point de presse, les semaines de reprise des tests antidopage avec d’autres échantillons sanguins et d’autres suppléments, puis l’exonération –, Jones a maintenu sa version des faits. Bien que certains éléments aient été révélés lentement (par exemple le fait que les résultats positifs étaient attribuables à l’utilisation de médicaments sans ordonnance visant la dysfonction érectile), l’idée principale est demeurée constante : Jones n’avait pas utilisé de substance augmentant la performance et n’avait pas triché, et les résultats étaient forcément le résultat d’une quelconque erreur humaine. Jones n’avait pas à gérer plusieurs mensonges. Il a plutôt communiqué au public ce qu’il savait et il se savait innocent.

En respectant ces trois principes – donner sa version des faits sans tarder; faire preuve de sincérité, d’honnêteté et d’authenticité et ne pas déroger de son message –, il a été en mesure de retourner à l’AFC sans que sa réputation ne soit trop affectée. Lors de la conférence de presse annonçant le retour de Jones, les fans ont acclamé ce dernier et hué Cormier. La reprise du combat n’aura lieu que dans quelques mois (et Jones a encore le temps de faire des bêtises), mais il semble que toutes les parties soient prêtes à repartir à neuf et à donner une deuxième chance à l’ancien champion. Si Jones n’avait pas suivi ces règles d’intervention de crise, il pourrait bien ne pas être en train de se préparer en vue du combat de l’UFC 214 et il pourrait même être tout simplement exclu de l’UFC.

Du soleil à l’horizon pour le Parti Conservateur

Aujourd’hui, le Parti Conservateur est dirigé par un jeune chef qui travaille en collaboration avec plusieurs jeunes députés prometteurs et dispose de fonds dont l’abondance frise l’absurdité.

Cet article est d’abord paru dans le Toronto Star le 4 juin 2017.

La campagne à la chefferie est maintenant terminée, mais elle a ouvert un nouveau chapitre pour ce parti qui avait besoin de renouveau.

Tout parti qui a été au gouvernement et qui est ensuite défait fait face à certains défis. Sa marque a été ternie par les critiques des partis de l’opposition et des médias. Ses acteurs sont fatigués et les récriminations ne tardent pas à se manifester.

Le renouveau peut être un processus long et difficile qui peut s’échelonner sur plusieurs cycles électoraux. Les situations vécues par le Parti Libéral fédéral en 2006 et par le Parti progressiste conservateur de l’Ontario en 2003 démontrent bien comment un exil temporaire peut se transformer en traversée du désert.

Le Parti Conservateur du Canada a de quoi célébrer depuis le week-end dernier.

On aurait pu croire qu’à l’issue d’une si longue campagne au leadership, le parti n’aurait pas tant de raisons de se réjouir. Les commentateurs et les analystes des médias avaient qualifié les concurrents de has been ou d’amateurs et avaient insisté sur le fait que les joueurs les plus éminents avaient décidé de ne pas se présenter. Ils avaient qualifié les politiques proposées de sans intérêt.

Mais aujourd’hui, le Parti Conservateur se trouve en bonne position.

Son financement déjà prodigieux a augmenté, même en plein cœur d’une campagne au leadership dont les 14 candidats recueillaient des fonds auprès du même bassin de donateurs.

Les grands acteurs dont les médias ont dit qu’ils étaient restés à l’écart de la course sont simplement passés à autre chose. Jason Kenney est déménagé en Alberta et s’est joint au mouvement conservateur de sa province, offrant ainsi à celle-ci une occasion de rejoindre la famille conservatrice lors des prochaines élections.

John Baird et Peter MacKay sont retournés dans le monde du travail, mais ont signalé leur intention de soutenir vigoureusement le parti.

Et, plus important encore, les candidats qui ont été relégués au deuxième niveau ont démontré leur capacité à assumer des responsabilités.

Au Canada, le mouvement conservateur a tendance à éclater de temps à autre. La scission qui a eu lieu en 1993 entre les progressistes conservateurs et le Reform Party, et la scission entre les partis de droite en Alberta sont les exemples les plus récents de la fragilité du mouvement.

Autrefois, un résultat aussi serré que 50,5 contre 49,5 pour cent dans une course au leadership aurait eu pour effet, à tout le moins, d’accroître les tensions et les frustrations au sein du parti. Mais les dirigeants et les activistes du parti semblent être conscients de l’importance fondamentale d’afficher un parti solide et uni pour affronter les libéraux avec succès.

La course au leadership a permis d’attirer l’attention sur de nouveaux visages. Plusieurs députés qui étaient plutôt dans l’ombre pendant l’ère Harper sont devenus des acteurs importants.

Erin O’Toole, Maxime Bernier, Michael Chong et plusieurs autres candidats ont peut-être perdu la course au leadership, mais ont assurément rehaussé leur profil. Chacun d’entre eux peut se vanter d’avoir communiqué sa perspective aux membres du parti, d’avoir fait des adeptes et d’avoir augmenté sa visibilité médiatique. Ils ont eu peine à sortir de l’ombre des joueurs conservateurs plus imposants du gouvernement Harper, mais ils sont su démontrer qu’ils étaient prêts à prendre les rênes du parti.

L’élection d’Andrew Scheer à la tête du parti annonce la fin d’un Parti Conservateur parfois rigide. M. Scheer semble résolu à donner à son parti un cadre axé sur la croissance pour les Canadiens. Ce ton sera le bienvenu chez les membres du parti.

Les courses au leadership laissent souvent dans leur sillage des égos blessés et des plaies ouvertes. S’ensuivent souvent des périodes d’introspection et de frustration.

Rien de tel n’a transparu de façon évidente cette semaine.

Au contraire, les nouveaux occupants des premières banquettes conservatrices semblent satisfaits des résultats et ravis de l’orientation du parti. Aucun signe du mécontentement et des récriminations habituels.

Bon nombre de députés conservateurs sont nouvellement élus; le renouvellement générationnel faisait partie des objectifs de la machine politique Harper à l’approche des élections de 2015.

Il s’agit d’une voie choisie avec prévoyance. Aujourd’hui, le Parti Conservateur est dirigé par un jeune chef qui travaille en collaboration avec plusieurs jeunes députés prometteurs et dispose de fonds dont l’abondance frise l’absurdité.

Du soleil à l’horizon en effet!

Jaime Watt est président exécutif de Navigator Ltd. et stratège conservateur.