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Une situation de non-retour

Les entreprises ont un rôle à jouer pour freiner la dégradation des centres-villes

 

Le centre-ville de Montréal ne manque pas d’atouts. En plus de constituer le moteur économique de la plus importante région métropolitaine du Québec, il se distingue des autres centres-villes d’Amérique du Nord. Montréal présente en effet un heureux mélange d’entreprises, de commerces de détail, d’espaces culturels et de divertissement, de restaurants, de sites touristiques, d’institutions d’enseignement et de zones résidentielles.

La pandémie a toutefois profondément bouleversé le cours des choses. Comme partout dans le monde, les flux migratoires, l’augmentation du coût du logement, le travail hybride, l’inoccupation des bureaux et la baisse de la fréquentation du transport collectif ont provoqué un ralentissement généralisé de l’activité urbaine. À titre d’exemple, les loyers sont en hausse de 14 pour cent depuis un an à Montréal et devraient augmenter de 30 pour cent d’ici 2025. Les taux d’inoccupation des bureaux dans le quartier des affaires devraient frôler les 25 pour cent d’ici cette date et la fréquentation du transport en commun stagne à 75 pour cent de son niveau prépandémique.

Les ressacs de la pandémie ont conduit plusieurs observateurs à évoquer un effet boule de neige; un cycle d’effondrement qui se nourrirait de lui-même et dans lequel la baisse d’activité des centres-villes entraînerait des fermetures d’entreprises et une chute des recettes fiscales municipales. Cela obligerait les villes à réduire leurs services, accélérant la fuite des résidents et des entreprises. Dans ce scénario, le cycle se répète jusqu’à ce que les centres-villes soient livrés à la criminalité, à la pauvreté et aux problèmes d’itinérance. Certains analystes vont jusqu’à comparer la situation précaire dans laquelle se trouvent les centres-villes aujourd’hui à celle des villes de la Rust Belt (ceinture de la rouille), comme Détroit et Pittsburgh, dans les années 1970, victimes des mutations technologiques qui ont érodé l’activité manufacturière et aspiré ces centres urbains dans une longue spirale descendante.

Que cela s’avère ou non, les tendances convergentes que nous observons aujourd’hui demeurent préoccupantes pour les villes ainsi que pour les entreprises et l’ensemble de l’économie. Selon Statistique Canada, les centres-villes des six plus grandes régions métropolitaines que sont Vancouver, Calgary, Edmonton, Ottawa, Toronto et Montréal ne couvrent que 0,1 pour cent à 0,3 pour cent du territoire, mais représentent de 15 pour cent à 24 pour cent des emplois et de 13 pour cent à 24 pour cent du produit intérieur brut du pays. En effet, les centres-villes denses et dynamiques favorisent le regroupement des talents, des idées et des connaissances dont les entreprises ont besoin pour innover et se développer. La concentration d’emplois dans les secteurs de pointe attire des travailleurs hautement qualifiés, ce qui favorise la création de produits et de services spécialisés. C’est ainsi que Montréal a vu naître de riches écosystèmes dans les domaines de l’aérospatiale, de l’intelligence artificielle, du développement de logiciels, des technologies financières et dans d’autres secteurs qui ont stimulé l’économie.

En réaction aux effets de la pandémie sur nos habitudes de vie et de travail, les gouvernements de tous les niveaux ont mis en œuvre des programmes et engagé des fonds pour revitaliser les centres-villes. Bien que louables, les efforts isolés des autorités publiques ne suffiront pas. Une action concertée de tous les acteurs concernés est requise. Il appartient aux entreprises de tous les secteurs de déterminer là où les intérêts publics et privés se recoupent et de faire pression sur les gouvernements pour participer à la relance. Les bénéfices qui découlent de la vitalité des centres-villes, comme en témoigne celui de Montréal, devraient suffire à les convaincre.