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Faisons-nous bon usage des sondages?

Entre exercice de prémonition, gourmandise des médias et naïveté du public, les récentes élections présidentielles américaines ont révélé – pour la deuxième fois consécutive – la grande fragilité du modèle « un sondage à tout prix ». Les sondages sont-ils encore un outil pertinent? Ont-ils été dévoyés? Est-ce que la réalité numérique et les médias sociaux brouillent dorénavant les cartes? Notre collègue David Millian, hôte du podcast Le Brief, en discute avec André Turcotte qui a tout récemment rejoint notre firme avec ses vingt-cinq années d’expérience dans l’industrie du sondage.

 

Ondes de choc venant du Sud

18 NOVEMBRE 2020

LES CANADIENS ENTRETIENNENT un rapport complexe avec la politique présidentielle américaine. Le récent spectacle venant du sud de la frontière, alimenté par la télévision et les puissants groupes d’action politique, a réussi à capter notre attention comme le ferait un grand événement sportif ou une performance musicale en direct.

Mais pour bien des entreprises canadiennes, ces élections n’avaient rien d’amusant. Très peu de pays sont aussi dépendants d’un seul partenaire commercial que ne l’est le Canada des États-Unis. Lorsque les relations commerciales fonctionnent, nos deux pays ne se contentent pas d’échanger des biens et services, mais coopèrent à des projets communs. Les institutions culturelles canadiennes sont façonnées selon les modèles qui émergent au sud, ou, parfois, en réaction à ceux-ci. Et que dire de nos dirigeants politiques ? Ils surveillent constamment les faits et gestes de leurs homologues américains, et tentent d’y réagir au mieux.

On se rappellera que Pierre Trudeau, 15e premier ministre du Canada, a déjà dit des relations avec son voisin que c’était comme « dormir avec un éléphant, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements ». Ces propos de l’ancien PM ont été repris maintes et maintes fois, mais ils sont toujours d’actualité.  Quelles seront les conséquences de la 59e élection présidentielle américaine ? Rien n’est moins clair.

Le milieu des affaires canadien a complètement perdu ses repères après l’élection de Donald Trump en 2016 et la montée de la politique conservatrice populiste aux États-Unis. Du jour au lendemain, il n’y avait plus de consensus sur les questions du commerce, de la coopération multilatérale et du développement durable.

Quatre ans plus tard, voilà que les États-Unis prennent une nouvelle direction, et nous essayons toujours de comprendre ce que cela signifie. Sous réserve de toute contestation juridique, une présidence Biden est une victoire pour les progressistes et les centristes aux États-Unis, ainsi que pour les alliés internationaux qui souhaitent voir les États-Unis reprendre son rôle ambitieux de chef de file.

Cela dit, le style politique qui a caractérisé le règne de M. Trump demeure redoutable. Avec un Sénat éventuellement républicain et une Cour suprême à tendance conservatrice, rien n’indique qu’il suffira à l’administration Biden-Harris d’agiter la baguette magique pour ramener la situation à la normale. En ce sens, on a moins l’impression de dormir avec un éléphant que de dormir avec un caméléon, que l’on observe sous tous les angles pour en découvrir la vraie couleur.

Le temps risque de paraître long pour les entreprises canadiennes.  Certes, on peut se faire une meilleure idée de ce qui nous attend en examinant les promesses faites durant la campagne, le rôle joué par les médias sociaux dans l’élection et les mandats qui échoient aux représentants élus à des postes législatifs et exécutifs.

Nos collègues de Navigator partout au pays ont analysé la situation pour vous et nous font part de leurs réflexions sur cinq sujets d’intérêt pour les entreprises canadiennes.

 

 

 

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TROUVER UN TERRAIN D’ENTENTE SUR LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE

Zoe Keirstead, Conseillère, Calgary

ON LE SAIT, l’industrie énergétique canadienne est menacée par un triple phénomène : la pandémie, la chute dramatique de la demande et la guerre des prix sur les matières premières. Bien qu’une présidence éventuelle sous Joe Biden présente son lot de défis, elle constitue aussi une occasion de resserrer les liens et d’installer un climat de collaboration bilatérale.

Qu’ont en commun les géants du pétrole et du gaz, le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney, le premier ministre Justin Trudeau et le président élu Joe Biden ? Ils partagent la même volonté de travailler ensemble pour lutter contre le dérèglement climatique et préserver les avantages économiques que procure le secteur énergétique. Le Canada et les États-Unis n’ignorent pas l’impact de l’industrie pétrolière et gazière, non seulement sur les économies du monde, mais aussi sur la qualité de vie. Le Canada n’est pas à l’abri des divisions politiques sur ce sujet controversé, mais dans le secteur du pétrole et du gaz, on observe déjà une volonté de collaboration prometteuse.

« Le Canada n’est pas à l’abri des divisions politiques sur ce sujet controversé, mais dans le secteur du pétrole et du gaz, on observe déjà une volonté de collaboration prometteuse. »

Jason Kenney et Justin Trudeau sont en désaccord sur bien des politiques, mais tous deux s’entendent sur la nécessité de prolonger le pipeline Keystone XL chez notre voisin du sud. Au début de cette année, chacun a clairement campé sa position : Kenney a investi 1,5 milliard de dollars, tandis que Trudeau a déclaré qu’il n’hésiterait pas à faire pression pour la construction de l’oléoduc, quel que soit le président américain en place.

Le Canada et les États-Unis se rejoignent sur des sujets comme l’environnement, l’égalité sociale, la diversité, l’inclusion et la gouvernance démocratique.  L’industrie du pétrole et du gaz en Amérique du Nord partagent ces mêmes valeurs, ce qui n’est malheureusement pas le cas de plusieurs autres pays producteurs de pétrole comme le Venezuela, la Russie et l’Arabie saoudite.

Sur le plan environnemental, le marché intégré de l’énergie de l’Amérique du Nord est considéré comme le plus éthique et le plus responsable au monde. Toute perturbation aurait des répercussions des deux côtés de la frontière. Pour assurer la sécurité énergétique du continent et maintenir l’approvisionnement essentiel en produits pétroliers et gaziers de source éthique, il est essentiel de disposer d’une infrastructure de transport sûre et fiable. M. Biden a déclaré qu’il mettrait fin au projet de pipeline, qui ne cadre pas dans ses plans de transition énergétique ni avec ses objectifs de lutte contre le changement climatique. Dans un monde post-pandémique, il devra cependant maintenir le fragile équilibre entre la sécurité énergétique, l’emploi et l’économie.

Les relations entre le Canada et les États-Unis n’ont pas toujours été faciles, comme en témoigne la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui a abouti à l’accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Il serait avisé de s’inspirer de ces négociations en accordant tout le soin requis à la représentation canadienne quand viendra le temps de discuter de projets économiques essentiels tel Keystone XL.

Le Canada et les États-Unis ont une occasion de collaborer avec l’industrie pour renforcer la sécurité énergétique de nos pays et de s’attaquer conjointement au défi climatique, ce qui serait impensable avec des pays comme la Russie ou l’Arabie saoudite.

Nos pays entretiennent une relation privilégiée et historique, qui s’est forgée grâce à une géographie commune, des liens économiques étroits et une amitié réciproque. Cette relation peut et doit continuer de se nourrir grâce une intégration plus poussée de nos secteurs énergétiques.

 

 

 

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ON A BESOIN DE LEADERSHIP

Philippe Gervais, Directeur général, Montreal

DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE, la personne qui occupe le Bureau ovale endosse le rôle de « chef du monde libre », à juste titre d’ailleurs. Depuis toujours, que ce soit à l’occasion d’une réunion du G7, de l’OTAN ou de l’ONU, le président des États-Unis, qu’il soit démocrate ou républicain, dirige les grandes coalitions de pays démocratiques dans le monde entier. Bien que l’étoile de l’occupant du Bureau ovale ait quelque peu pâli depuis la fin de la guerre froide, jamais n’aura-t-on vu un tel affaiblissement du pouvoir d’attraction américain que sous la présidence de Donald Trump. Son manque de respect et de considération envers les alliés historiques des États-Unis et son approche intimidante et querelleuse à tout propos ont causé des dommages au niveau international qui ne seront pas colmatés de sitôt.

La popularité et le respect dont jouissaient les présidents américains à l’étranger ont été la clé du succès des É.-U. sur le plan international. Trump aurait-il eu l’autorisation de déployer des armes nucléaires à courte portée sur les territoires allemand et anglais, pour ainsi faire plier la défunte Union soviétique, comme l’a fait Reagan dans les années 1980 ? Aurait-il réussi à mobiliser la coalition contre l’Irak comme l’a fait le président Bush ? Aurait-il pu guider le monde à travers les grandes réformes économiques des années 1970, 1980 et 1990 qui ont façonné l’économie mondiale ? Au cours des quatre dernières années, le pouvoir politique attaché à la fonction présidentielle et la capacité d’influencer les citoyens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières des États-Unis, ont été perdus. Le vide laissé est immense.

Après quatre années d’imprévisibilité, de désinformation et d’impolitesse, l’arrivée de Biden est un cadeau du ciel pour les relations canado-américaines. Le Canada n’avait jamais été aussi durement traité par un président. Pendant plus de la moitié du mandat de Trump, on ne trouvait qu’une chaise vide à l’ambassade américaine à Ottawa. Et lors d’une réunion du G7 à Charlevoix en 2018, on se souvient du passage éclair de M. Trump.  Assisterons-nous, entre Biden et Trudeau, à une bromance à la Trudeau-Obama ou à une complicité semblable à celle, toute irlandaise,  de Mulroney-Reagan ? Le temps nous le dira, mais la plupart des Canadiens se contenteraient d’une relation normale.

« Il n’y a pas de solution immédiate aux problèmes auxquels les entreprises et les gouvernements sont confrontés – du changement climatique à la pandémie mondiale, en passant par les inégalités de revenus – mais les Canadiens peuvent être rassurés : il y aura désormais une présence expérimentée et influente à la table des négociations. »

L’arrivée de Biden ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de de problèmes entre nos deux pays. Les questions de Keystone XL, du bois d’œuvre et une attitude protectionniste « Buy American » soulèveront des frictions. Pour les Canadiens, en revanche, le simple fait de travailler avec un président qui aborde les problèmes en s’appuyant sur des faits et des réalités politiques, et qui recherche un résultat gagnant pour tous, signifie que nous avons de meilleures chances de résoudre nos différends.

La création de coalitions, la collaboration avec les alliés et la recherche d’un terrain d’entente seront sans doute au cœur de l’approche Biden. Le président élu a clairement démontré sa volonté de redonner une stature présidentielle à son rôle sur la scène mondiale et de réintégrer sa place de chef du monde libre. Cela est de bon augure pour de nombreuses organisations internationales où les États-Unis joueront une fois de plus un rôle de premier plan dans la recherche de solution. On ne fera plus obstacle au progrès. C’est également bon signe pour les entreprises d’ici dont les relations commerciales se sont fragilisées au cours des récentes années.

Les États-Unis est un pays imposant à tous points de vue : sa puissance militaire, son économie et même sa production de gaz à effet de serre en font un acteur incontournable dans nos institutions internationales. Les organismes et groupes mondiaux tels l’OMS, l’OTAN, l’OMC et le G7, qui voient soudainement leur statut reprendre de l’importance, ont tout à gagner de travailler avec un président américain engagé et fiable.

Il n’y a pas de solution immédiate aux problèmes auxquels les entreprises et les gouvernements sont confrontés – du changement climatique à la pandémie mondiale, en passant par les inégalités de revenus – mais les Canadiens peuvent être rassurés : il y aura désormais une présence expérimentée et influente à la table des négociations.

 

 

 

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BEAU TEMPS À L’HORIZON 

Jenessa Crognali, Conseillère principale, Toronto

EN 2018, LE CADRE législatif du Canada a donné aux producteurs de cannabis d’ici un avantage de premier plan. Aujourd’hui cependant, nos plus gros producteurs ont le regard rivé sur les deux côtés de la frontière. Cela n’a rien d’étonnant : des entreprises canadiennes comme Aurora Cannabis et Canopy Growth sont maintenant cotées en bourse aux États-Unis et ont communiqué publiquement leurs stratégies de croissance dans ce pays.

Si les restrictions sur le commerce entre États et les difficultés d’accès aux services financiers ont limité le potentiel du secteur aux États-Unis, les résultats des référendums qui ont accompagné l’élection changent la donne. Quelques jours avant que les Américains ne sachent qui serait leur président, cinq États américains ont voté en faveur de mesures d’assouplissement liées au cannabis. Ainsi, l’Arizona, le Montana, le New Jersey et le Dakota du Sud pourront légaliser le cannabis à usage récréatif. Ce dernier État ainsi que le Mississippi se sont également montré favorables à son usage à des fins médicales.

Cela constitue une bonne nouvelle pour une industrie canadienne aux abois, qui a vu la valeur de ses actions dégringoler au cours des 18 derniers mois. On entrevoit déjà la possibilité qu’un président démocrate émette des politiques en matière de cannabis suffisamment progressistes pour revigorer l’industrie canadienne.  Cela dit, rien n’est encore fait et la prudence commande de modérer les attentes.

« Nous dépénaliserons le cannabis et nous effacerons les casiers de ceux qui ont été pris en infraction avec du cannabis », a déclaré Kamala Harris, la colistière de Biden et maintenant vice-présidente élue, durant la campagne. Cette promesse figure en effet dans la plateforme électorale du Parti démocrate pour 2020 et les leaders démocrates au Congrès soutiennent largement une réforme de la loi sur le cannabis.

M. Biden, autrefois associé à la lutte antidrogue, a soutenu publiquement la dépénalisation de la marijuana et a ouvert la voie à une future légalisation en promettant confier aux États le pouvoir de prendre leurs propres décisions en la matière. L’administration Biden pourrait toutefois trouver un caillou dans sa chaussure si une majorité républicaine est reconduite au Sénat. Les républicains hésiteront à soutenir toute législation pouvant donner une apparence de victoire à leurs adversaires démocrates.

« M. Biden, autrefois associé à la lutte antidrogue, a soutenu publiquement la dépénalisation de la marijuana et a ouvert la voie à une future légalisation en promettant confier aux États le pouvoir de prendre leurs propres décisions en la matière. »

« À défaut d’une solution miracle, une administration Biden offre une lueur d’espoir aux sociétés canadiennes de production de cannabis, impatientes de trouver des partenaires et des débouchés commerciaux aux États-Unis. »

Bien que les entreprises canadiennes du secteur du cannabis soient cotées en bourse aux États-Unis, elles sont présentement contraintes de concentrer leurs activités sur les produits de cannabidiol, à base de chanvre, car le cannabis est toujours frappé d’interdit au niveau fédéral. Advenant un changement législatif, l’industrie canadienne pourrait avoir accès à un nouveau marché relativement inexploité.

Même si la légalisation fédérale n’est pas pour demain, l’industrie pourrait se rallier autour de mesures plus immédiates comme la U.S. SAFE Banking Act – un projet de loi permettant aux institutions financières de servir les entreprises de cannabis autorisées sans crainte de sanctions fédérales – ou comme celles visant à encourager l’accès à la recherche sur la plante.

L’élection américaine entraînera des changements de politiques dans plusieurs secteurs et l’avenir d’une industrie du cannabis transnationale demeure très incertain. À défaut d’une solution miracle, une administration Biden offre une lueur d’espoir aux sociétés canadiennes de production de cannabis, impatientes de trouver des partenaires et des débouchés commerciaux aux États-Unis. Il ne leur reste plus qu’à attendre l’arrivée des beaux jours.

 

 

 

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L’AMÉRIQUE, LA MEILLEURE ALLIÉE

Michael Stock, Conseiller, Toronto

PARMI TOUTES LES extravagances et les incohérences qui caractérisent le trumpisme, l’attitude belliqueuse du président à l‘égard de la Chine est sans doute ce qui aura le plus marqué, et de façon durable, son mandat. Au cours des quatre dernières années, le président a entraîné les deux superpuissances dans une surenchère de fanfaronnades et de représailles économiques. Dans l’esprit de Trump, il fallait mettre fin au déséquilibre systémique persistant de la relation entre les deux pays.

La guerre commerciale livrée par Trump s’est traduite par l’imposition de tarifs douaniers élevés et par une instrumentalisation de la Chine afin de faire du régime chinois le bouc émissaire de tous les maux qui affligent la classe ouvrière et les travailleurs américains. Cette guerre s’est retournée contre Trump lui-même. Le déficit commercial s’est creusé sous son administration et le refroidissement des relations entre les deux pays a porté un dur coup à l’économie américaine alors que celle de la Chine est demeurée florissante.

En réalité, l’attitude de Trump face à la Chine a toujours été une question de posture plutôt que de politiques, et les hausses de tarif ne sont guère qu’une « tape sur les doigts » – qui s’est avérée au final très coûteuse – pour sanctionner ce qui était jugé comme un mauvais comportement. Si beaucoup s’attendent à ce que l’administration Biden se montre moins agressive dans l’utilisation de leviers économiques pour punir le président Xi Jinping et le Parti communiste chinois, il ne faut pas s’attendre à ce que les relations, politiques ou économiques, se rétablissent de sitôt.

En fait, l’une des rares positions sur lesquelles les Américains sont d’accord, en particulier depuis le début de la pandémie de COVID-19, est que l’on ne peut pas faire confiance à la Chine et qu’il faut la freiner. Biden ne ratera pas l’occasion d’assouplir sa politique étrangère, malgré des frictions commerciales prévisibles avec l’Union européenne ou certaines tensions avec Israël, pour unifier la nation plutôt que l’enflammer.

Alors, que peuvent attendre les entreprises canadiennes d’une présidence Biden sur la question chinoise ? Eh bien, contrairement à M. Trump, dont les vues personnelles sur le pays définissent son approche des relations, Biden n’aura pas les coudées franches à la Maison‑Blanche.  Il ne pourra pas maintenir l’attitude conciliante qu’on lui connaît envers la Chine. Biden fera plutôt ce qu’il a toujours fait : tirer parti au maximum de ses relations avec ses alliés, et « ériger des barrières infranchissables » dans nos secteurs communs, notamment dans les domaines du renseignement, de la technologie et du commerce.

« Les Américains ont indiqué clairement qu’ils veulent que leurs efforts commerciaux et diplomatiques profitent à eux-mêmes, et non à leurs alliés. »

Le Canada sera l’une des premières étapes de sa tournée, et les Canadiens devraient constater une meilleure volonté de coordination entre les alliés occidentaux sur des questions telles que les investissements étrangers, le comportement d’entreprises appartenant à l’État et les gros joueurs comme Huawei et TikTok. Alors que notre propre relation avec Pékin en est presque au point de rupture, le premier ministre et son équipe tenteront de mesurer leur réponse.

Il n’est pas dit qu’une amélioration des relations sino-américaines profitera aux entreprises canadiennes. Au contraire, les gains éventuels réalisés par les exportateurs américains dans le cadre d’une relation commerciale rétablie se feront presque assurément aux dépens des producteurs canadiens, notamment dans les secteurs de l’agriculture, des fruits de mer et de l’énergie. Mais dans l’ensemble, attendons-nous à ce que la politique étrangère « l’Amérique d’abord » cède le pas à « l’Amérique, la meilleure alliée ».

Il faut éviter d’être naïf. Les Américains ont indiqué clairement qu’ils veulent que leurs efforts commerciaux et diplomatiques profitent à eux-mêmes, et non à leurs alliés. Mais après quatre années de lutte contre l’emprise de la Chine, le Canada a la chance de retrouver un allié qui souhaite collaborer à nouveau, même si cela se fera à ses propres conditions.

 

 

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DILEMMES SOCIAUX

Hunter Knifton, Conseiller, Toronto

« SI VOUS AVIEZ passé les six derniers mois à regarder Facebook plutôt qu’à lire les sondages, vous seriez probablement moins confus en ce moment », a tweeté Kevin Roose, chroniqueur spécialisé en TI du New York Times, à 3 h10 du matin après l’élection, pour expliquer l’incompréhension  de millions de personnes devant les résultats des élections.

Pendant que les maisons de sondage se précipitaient pour justifier l’écart entre leurs projections et les résultats finaux, une évidence s’imposait : sur le média Facebook, l’histoire de l’élection s’est lue de manière bien différente. Les partis politiques, les entreprises et autres entités qui dépendent de l’opinion publique ont fait preuve d’insouciance en négligeant de s’y intéresser.

« Facebook est la plateforme de médias sociaux dominante depuis des années. Les résultats des élections américaines nous rappellent de façon brutale à quel point nos médias traditionnels et nos sondeurs sont encore bien loin de comprendre le contenu qui y circule. »

Peu importe que certains journalistes, consultants et autres lecteurs avertis aient choisi de supprimer Facebook de leur emploi du temps quotidien,  Facebook est de loin la plateforme de médias sociaux la plus utilisée au Canada, aux États-Unis et dans le monde.  C’est aussi une plateforme où les voix conservatrices parmi les plus provocatrices sévissent, comme l’évangéliste Christian Franklin Graham, le président Donald Trump ou le commentateur en matière de médias Ben Shapiro.

Facebook est un lieu d’échange de grande portée, qui exerce une influence certaine. Les organisations qui se préoccupent de l’opinion publique seraient imprudentes de l’ignorer. La question est la suivante : si les conversations qui circulent sur Facebook épousent plus largement les thèses conservatrices, pourquoi les sondages sont-ils si favorables aux opinions libérales ? Voici deux hypothèses :

  1. Les personnes qui participent aux sondages n’ont pas de préférences aussi marquées que nous le supposons;
  2. Les sondeurs, les analystes politiques et les médias grand public ignorent comment tenir compte des publics qui s’expriment sur Facebook, et qui sont moins disposés à participer à une interview ou à un sondage.

Le comportement qui correspond à la première hypothèse (un répondant à un sondage indique une préférence pour la candidature de Joe Biden, mais vote ensuite pour Trump), est bien connue des sondeurs et des spécialistes des campagnes politiques. Les organisations avisées savent qu’il y a souvent discordance entre la préférence déclarée d’un individu et sa préférence révélée, et utilisent une méthodologie pour déceler la véritable tendance d’un électeur, comme il est commun de le faire dans le cadre de pré-tests publicitaires.

La deuxième hypothèse a des incidences beaucoup plus grandes. Les organisations réalisent que les données sur lesquelles elles se sont toujours appuyées sont non seulement insuffisantes, mais aussi peu fiables. Elles doivent donc revoir leurs méthodes de recherche pour mieux mesurer le pouls du public. Un spécialiste de la prévision qui aurait utilisé un modèle d’analyse des données Facebook aurait réussi à nous offrir un portrait beaucoup plus juste de l’élection de 2020. Les entreprises qui scrutent l’opinion et les comportements des consommateurs doivent garder cela à l’esprit. Cette élection aura donc montré qu’il aurait été nécessaire d’exploiter de nouvelles sources de données pour mieux prévoir l’issue du vote.

Il est à espérer que les médias suivront le mouvement en réfléchissant à des moyens de reconnaître ces publics sous-estimés,  et d’enfin leur donner une voix.  Cela crée des opportunités et des menaces pour les organisations, selon qu’elles soient sont vénérées ou détestées par ces groupes de droite, car ces groupes sont actuellement sous les feux de la rampe et vont probablement alimenter la conversation des médias grand public plus que jamais.

Facebook est la plateforme de médias sociaux dominante depuis des années. Les résultats des élections américaines nous rappellent de façon brutale à quel point nos médias traditionnels et nos sondeurs sont encore bien loin de comprendre le contenu qui y circule. Des deux côtés de la frontière, les quatre prochaines années prendront l’allure d’une course pour rattraper le retard. Il s’agit de savoir si l’on veut faire partie de la conversation, ou en être exclu.