Navigator logo

Une situation de non-retour

Les entreprises ont un rôle à jouer pour freiner la dégradation des centres-villes

 

Le centre-ville de Montréal ne manque pas d’atouts. En plus de constituer le moteur économique de la plus importante région métropolitaine du Québec, il se distingue des autres centres-villes d’Amérique du Nord. Montréal présente en effet un heureux mélange d’entreprises, de commerces de détail, d’espaces culturels et de divertissement, de restaurants, de sites touristiques, d’institutions d’enseignement et de zones résidentielles.

La pandémie a toutefois profondément bouleversé le cours des choses. Comme partout dans le monde, les flux migratoires, l’augmentation du coût du logement, le travail hybride, l’inoccupation des bureaux et la baisse de la fréquentation du transport collectif ont provoqué un ralentissement généralisé de l’activité urbaine. À titre d’exemple, les loyers sont en hausse de 14 pour cent depuis un an à Montréal et devraient augmenter de 30 pour cent d’ici 2025. Les taux d’inoccupation des bureaux dans le quartier des affaires devraient frôler les 25 pour cent d’ici cette date et la fréquentation du transport en commun stagne à 75 pour cent de son niveau prépandémique.

Les ressacs de la pandémie ont conduit plusieurs observateurs à évoquer un effet boule de neige; un cycle d’effondrement qui se nourrirait de lui-même et dans lequel la baisse d’activité des centres-villes entraînerait des fermetures d’entreprises et une chute des recettes fiscales municipales. Cela obligerait les villes à réduire leurs services, accélérant la fuite des résidents et des entreprises. Dans ce scénario, le cycle se répète jusqu’à ce que les centres-villes soient livrés à la criminalité, à la pauvreté et aux problèmes d’itinérance. Certains analystes vont jusqu’à comparer la situation précaire dans laquelle se trouvent les centres-villes aujourd’hui à celle des villes de la Rust Belt (ceinture de la rouille), comme Détroit et Pittsburgh, dans les années 1970, victimes des mutations technologiques qui ont érodé l’activité manufacturière et aspiré ces centres urbains dans une longue spirale descendante.

Que cela s’avère ou non, les tendances convergentes que nous observons aujourd’hui demeurent préoccupantes pour les villes ainsi que pour les entreprises et l’ensemble de l’économie. Selon Statistique Canada, les centres-villes des six plus grandes régions métropolitaines que sont Vancouver, Calgary, Edmonton, Ottawa, Toronto et Montréal ne couvrent que 0,1 pour cent à 0,3 pour cent du territoire, mais représentent de 15 pour cent à 24 pour cent des emplois et de 13 pour cent à 24 pour cent du produit intérieur brut du pays. En effet, les centres-villes denses et dynamiques favorisent le regroupement des talents, des idées et des connaissances dont les entreprises ont besoin pour innover et se développer. La concentration d’emplois dans les secteurs de pointe attire des travailleurs hautement qualifiés, ce qui favorise la création de produits et de services spécialisés. C’est ainsi que Montréal a vu naître de riches écosystèmes dans les domaines de l’aérospatiale, de l’intelligence artificielle, du développement de logiciels, des technologies financières et dans d’autres secteurs qui ont stimulé l’économie.

En réaction aux effets de la pandémie sur nos habitudes de vie et de travail, les gouvernements de tous les niveaux ont mis en œuvre des programmes et engagé des fonds pour revitaliser les centres-villes. Bien que louables, les efforts isolés des autorités publiques ne suffiront pas. Une action concertée de tous les acteurs concernés est requise. Il appartient aux entreprises de tous les secteurs de déterminer là où les intérêts publics et privés se recoupent et de faire pression sur les gouvernements pour participer à la relance. Les bénéfices qui découlent de la vitalité des centres-villes, comme en témoigne celui de Montréal, devraient suffire à les convaincre.

Le plus grand risque pour le Canada est celui de ne pas en prendre

Le Canada perdra des occasions de renforcer et de renouveler son économie s’il ne rompt pas avec sa culture politique peu encline à prendre les risques nécessaires à son avancement

 

Carboneutralité en 2050.

Zéro déchet plastique en 2030.

100 millions d’habitants en 2100, aucun problème économique, aucun délai d’attente dans les services publics et pas de troubles sociaux.

Absolument improbable.

Les Canadiens ont l’habitude d’entendre des dirigeants politiques exprimer leurs grands rêves pour le pays. Mais ils sont déçus plus souvent qu’à leur tour. Ils commencent à se rendre compte que ces promesses ne se fondent sur aucun objectif concret, ni même sur des projets valables. Ce sont des paroles en l’air, cyniques et vides de sens. Pas terrible pour le climat politique.

En dépit des objectifs qu’il s’est fixés, le Canada demeure l’un des dix premiers émetteurs mondiaux de GES par habitant, et seulement 9 pour cent de ses déchets plastiques sont recyclés. L’immigration, qui devrait être un atout pour notre économie, est freinée par la pénurie de logements, les problèmes de transport et la difficulté d’accès aux soins de santé.

Toutes ces questions relèvent du même problème, le “risque d’horizon”. Pour les régler, il faudrait un regard neuf et de la vision. Nos dirigeants semblent plutôt doués pour fixer des objectifs très ambitieux pour le pays, mais sans plus. Disons-le clairement : le leadership se révèle et se mesure par l’action, en mobilisant les ressources, en ralliant la population et en se mettant à l’oeuvre. Le travail ne consiste pas à fixer des objectifs et à diffuser des communiqués de presse.

Le problème est exacerbé par notre manque de courage politique. Cela fait plus de 20 ans qu’un parti fédéral n’a pas obtenu plus de 40 pour cent du vote populaire. Dans un système uninominal à un tour et dans un environnement caractérisé par la fragmentation de l’information, les partis politiques se montrent peu audacieux et cherchent avant tout à former la plus petite coalition gagnante possible. Par conséquent, ils privilégient la lutte partisane et la victoire rapide plutôt que la promotion d’une vision politique à long terme.

La crise du coût de la vie qui frappe les Canadiens nous offre un bon exemple de cette approche à courte vue. Tous les sondages nous confirment que les problèmes liés à la hausse du coût de la vie viennent en tête des préoccupations des citoyens. Sans surprise et par calcul politique, nos politiciens y accordent leur attention : il vaut mieux ne s’intéresser qu’aux problèmes qui peuvent être réglés rapidement.

Mais ils se trompent.

C’est dans les périodes de grands bouleversements que les grandes idées politiques sont les plus nécessaires et les plus attendues par le public, et ce, en dépit des risques considérables qu’elles comportent. La raison en est simple: lorsque le pays a le dos au mur, le public est plus disposé à laisser aux décideurs politiques la latitude requise pour redresser la situation.

Autrement dit, le moment est venu aujourd’hui de prendre des risques.

Dans son nouvel essai fort instructif Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism, Mariana Mazzucato, professeure à l’University College de Londres, affirme: « La politique ne consiste pas seulement à “intervenir”. Elle sert à façonner l’avenir: cocréer des marchés et de la valeur, et pas seulement “corriger” les marchés ou redistribuer la valeur. Il s’agit de prendre des risques, et pas seulement de “réduire les risques”. Et il ne s’agit pas d’uniformiser les règles du jeu, mais de les orienter vers le type d’économie que nous souhaitons. »

Cela peut sembler contre-intuitif pour une classe politique qui a tiré les mauvaises leçons des échecs politiques du passé. Pour elle, tenter de nouvelles choses vous expose à des problèmes, alors il est plus prudent de ne rien tenter de nouveau. Mais pour le Canada, le risque le plus immédiat et potentiellement le plus coûteux est de ne pas prendre de risques du tout.

Dans le domaine de la recherche et du développement, le Canada se classe au 26e rang des pays de l’OCDE. Dans le domaine des infrastructures, selon des rapports indépendants, notre déficit se situerait entre 110 et 270 milliards de dollars. En matière de lutte contre les changements climatiques et d’investissement dans l’innovation verte, nous n’atteignons pas les cibles internationales et nous n’avons toujours pas défini les politiques vigoureuses dont nous avons besoin pour espérer profiter de retombées économiques et environnementales à long terme.

L’absence de prise de risque se reflète également dans la vision des principaux partis politiques, qui n’ont pas réussi à proposer un projet d’avenir cohérent pour notre économie et le bien-être durable de nos concitoyens. Ce n’est pas en dépensant plus que nous relèverons ces grands défis de société. C’est en adoptant une nouvelle façon de penser et en étant prêts à prendre des risques.

Force nous est de constater que c’est la myopie politique et l’aversion pour le risque qui nous ont conduits là où nous sommes, et que ce n’est pas en rafistolant nos politiques et nos programmes que nous arriverons à quelque chose. Pour la prospérité future du Canada, il importe de reconnaître et de valoriser le risque dans nos débats politiques. Le temps presse, car les occasions passent et ne reviennent pas toujours.

Mot du président

« Vous ne pouvez pas nager vers de nouveaux horizons tant que vous n’avez pas le courage de perdre de vue le rivage, » a écrit Faulkner.

Plus facile à dire qu’à faire. Mais de nos jours, nous savons tous qu’il faut du courage. Agrandir ses horizons est une nécessité qui, malheureusement, ne vient pas sans risques.

Quel que soit votre secteur d’activité, quels que soient les services que vous offrez, le risque d’horizon existe, et la crainte que vos plans ne se réalisent pas à l’intérieur de votre calendrier demeure présente. Nous vivons dans une période de bouleversements extraordinaire : prolifération des nouvelles technologies, changements géopolitiques, effondrement des médias traditionnels et transformation énergétique d’une ampleur sans precedent depuis la révolution industrielle. En même temps, nous disposons de moins en moins de temps pour nous occuper de nos affaires.

Mais si la mer est agitée, ce qui nous attend est très attrayant à bien des égards. On nous promet des marchés vierges, une productivité accrue et des opportunités que nous avons aujourd’hui peine à imaginer.

Il va de soi que diriger et nouer des relations de confiance dans un contexte instable comporte des risques considérables, mais il faut voir cela comme autant d’occasions à saisir.

Chaque jour, nous nageons dans une mer d’incertitude et d’opportunités. Et dans cette mer, lorsque les eaux se font plus profondes, savoir si l’on doit se diriger vers le large ou regagner la berge demande une évaluation des risques rapide et décisive.

Vous trouverez dans ces pages des réflexions et des analyses utiles pour mieux évaluer le risque. D’abord, le point de vue de l’ancien ambassadeur aux États-Unis, David MacNaughton, sur le retour éventuel de Donald Trump et ses répercussions sur le Canada ; ensuite, un aperçu de la menace que fait peser l’IA générative sur l’emploi ; enfin, un regard sur le morcellement de l’écosystème médiatique et sur les dangers de l’écoblanchiment pratiqué par certaines grandes entreprises. Le numéro 12 de Perspectives se penche sur ces sujets brûlants d’actualité et bien plus encore.

Je vous invite à y plonger.

Rencontrez la nouvelle coalition bleue

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, l’ascension de Pierre Poilievre au poste de chef du Parti conservateur est l’illustration d’un réalignement majeur de la politique canadienne. M. Poilievre a remporté une victoire écrasante grâce à une plateforme prônant un retour aux libertés individuelles, une résistance à la rectitude politique ambiante et un désir d’agir concrètement pour rendre la vie plus abordable.

M. Poilievre ne mise pas seulement sur l’appui du col bleu masculin traditionnel, mais sur celui de la classe ouvrière canadienne dans son ensemble, dont plusieurs membres ont subi les contrecoups de la pandémie. Contrairement à son rival, le premier ministre Justin Trudeau, M. Poilievre cherchera à canaliser la colère et le sentiment d’impuissance qui animent de nombreux Canadiens face à des phénomènes sur lesquels ils ont peu ou pas d’emprise, qu’il s’agisse d’inflation, de virus ou d’ouragans.

Voici ce qu’il faut savoir sur le mouvement qui a mené Poilievre à la victoire, et ce que cela révèle sur l’état de l’opinion publique canadienne, d’un bout à l’autre du pays.

 

Colombie-Britannique
Par Alex Shiff
Directeur associé

Des gains dans le Grand Vancouver et le Lower Mainland pourraient bien assurer la victoire des conservateurs en Colombie-Britannique. Pierre Poilievre et son équipe en sont bien conscients, et c’est pourquoi ils y ont passé beaucoup de temps durant la campagne à la chefferie. Poilievre a réussi à attirer des foules de sympathisants, galvanisés par son style bien à lui.

Avec son message particulièrement bien adapté aux réalités des électeurs de ces circonscriptions, le chef conservateur pourrait bien conquérir les banlieues de la province. Ses positions sur le logement et le coût de la vie plaisent aux millénariaux, qui ont vu leur niveau de vie décliner sous le gouvernement Trudeau en raison de l’augmentation des coûts. Le parcours personnel de Poilievre et la place qu’il accorde dans son discours à la libre entreprise, à la liberté d’expression et à la religion lui attirent également les faveurs des communautés d’immigrants, fortement représentées dans les banlieues.

Le chef Poilievre passera sans doute beaucoup de son temps à faire campagne dans la région métropolitaine de Vancouver et à peaufiner ses messages en vue de rallier les électeurs de banlieue, une des clés pour accéder au 24 Sussex.

 

Alberta
Par Lauren Armstrong
Conseillère principale

La crise du logement et l’inflation se profilent à l’horizon et l’abordabilité du logement dans les grandes villes est un sujet de préoccupation pour les Albertains. Dans l’esprit du nouveau chef du Parti conservateur fédéral, l’Alberta demeurera toujours le cœur du pays, son port d’attache et l’endroit où il peut récolter des centaines de milliers de votes et des dizaines de millions de dollars. Mais pour conserver sa popularité et séduire les donateurs albertains, M. Poilievre, lui-même originaire de Calgary, devra éviter d’aborder les questions sociales délicates. Il devra plutôt tenter de faire des gains sur des sujets concrets qui ont une incidence sur le portefeuille.

Il lui faudra aussi se livrer à un jeu d’équilibriste : s’opposer aux politiques de Trudeau, particulièrement celles perçues comme nuisant aux travailleurs, sans mettre en péril les domaines de coopération entre les entreprises et les gouvernements provincial et fédéral, comme la capture et le stockage du carbone. La stratégie qu’adoptera Poilievre sera la même que celle employée par les premiers ministres de l’Alberta depuis des décennies : se montrer dur en public et négocier habilement derrière les portes closes.

 

Saskatchewan
Par Jim Billington
Directeur associé

Avec ses 14 circonscriptions électorales actuellement représentées par des députés conservateurs, la Saskatchewan revendique le titre de province la plus conservatrice du Canada. M. Poilievre et son parti continueront probablement à faire la loi dans la province, laquelle exprime un profond dédain pour M. Trudeau et son gouvernement libéral.

M. Poilievre s’opposera à certains éléments clés du programme environnemental de M. Trudeau, comme l’ont fait avec succès les chefs conservateurs précédents. Cependant, un défi plus large l’attend, soit celui de répondre aux principales préoccupations de ses nombreux partisans de la Saskatchewan, une tâche à laquelle ses deux prédécesseurs ont failli.

En Saskatchewan, le désaveu à l’égard de la politique du gouvernement Trudeau alimente un désir d’autonomie provinciale, ce qui n’a pas échappé au premier ministre Scott Moe. Dans sa quête de pouvoirs accrus et à l’instar du Québec, la Saskatchewan peut compter sur un allié en la personne de Poilievre. Il reviendra donc au nouveau chef conservateur de trouver l’équilibre entre les demandes de l’Ouest et les priorités des électeurs des autres régions du Canada, qui pourraient n’éprouver que peu d’intérêt pour les revendications autonomistes des Prairies.

 

Québec
Par Philippe Gervais
Directeur principal

Au Québec, nous avons assisté à un réalignement politique comme on n’en a pas vu depuis des lustres. Il y a quatre ans, la Coalition Avenir du Québec (CAQ) de M. Legault avait été élue pour la première fois dans la province. Du coup, la jeune formation avait écarté du pouvoir les deux grands partis qui dominaient la scène politique depuis la fin des années 1960. Le 3 octobre dernier, la CAQ confortait sa position en remportant une victoire encore plus éclatante, ne laissant que des miettes à ses adversaires et un trou au centre de la carte électorale correspondant à l’île de Montréal. Comment expliquer ce raz-de-marée ?

Il ne fait aucun doute qu’un nombre croissant d’électeurs québécois sont mécontents et ne se retrouvent plus dans les partis politiques traditionnels. Même M. Poilievre a profité de ce ressentiment et de l’insatisfaction à l’égard du statu quo, comme en témoigne sa victoire sans équivoque contre Jean Charest, pourtant considéré comme « l’élu » par de nombreux conservateurs québécois de longue date.

Avec ses messages axés sur la défense du « Nous » québécois, M. Legault a fait ressortir la division de l’électorat : les électeurs n’hésitent plus à clamer leur identité régionale et rejettent l’ingérence du gouvernement fédéral. Voilà l’occasion toute trouvée pour Poilievre d’intensifier sa critique de la gestion interventionniste d’Ottawa sans rompre avec les principes fondateurs du Parti conservateur du Canada.

Les entreprises nationales et internationales doivent prendre acte de ce réalignement en s’engageant à respecter l’identité et la culture uniques des Québécois. Celles qui n’y parviennent pas risquent de se voir rejetées, tout comme l’a été la « vieille garde » politique québécoise.

 

Ontario
Par Clare Michaels
Directrice associée

M. Poilievre aurait tout à gagner de s’inspirer des succès du populiste Doug Ford. Si tel est le cas, un parti dirigé par Poilievre prêterait moins l’oreille aux préoccupations des grands employeurs et s’intéresserait davantage à l’opinion de leurs employés.

Le gouvernement Ford a reconnu la nécessité de mettre le conservatisme fiscal en veilleuse afin de s’attaquer aux grands problèmes systémiques, en particulier ceux qui touchent la classe ouvrière ontarienne. Dans cette liste qui ne cesse de s’allonger figurent l’inflation, l’accès aux soins de santé et la mise en place de réseaux de transport collectif et d’autoroutes pour lutter contre les embouteillages.

Les victoires de Doug Ford en 2018 et 2022 sont attribuables en grande partie à l’effort déployé pour courtiser les personnes les plus durement touchées par ces problèmes, dont les ennemis traditionnels des conservateurs que sont les travailleurs syndiqués. Non seulement un nombre impressionnant de syndicats l’ont appuyé, mais Ford a également démontré son habileté à contourner les chefs syndicaux pour rejoindre directement leurs membres, en véhiculant des idées pragmatiques, aussi bien sur les lieux de travail qu’à l’extérieur.

Nous avons été témoins sous son règne d’un réalignement majeur de la politique syndicale. Les orthodoxies et les mentalités habituelles n’ont plus autant la cote. Les chefs d’entreprises canadiennes pourraient profiter de cet assouplissement pour faire des gains, en proposant aux syndicats de nouvelles politiques et initiatives susceptibles de créer de la croissance et des emplois de qualité.

 

Atlantique
Par Jason Hatcher
Directeur principal

Les provinces de l’Atlantique sont souvent les grandes oubliées des stratégies politiques fédérales, étant donné qu’elles ne détiennent qu’une fraction des sièges au Parlement. Rappelons-nous qu’en 2015, Justin Trudeau y avait raflé la totalité des 32 sièges. Lors des dernières élections, le Parti conservateur du Canada a tenté d’y retrouver des appuis, mais sa récolte s’est limitée à huit sièges.

La vague conservatrice qui a déferlé au Canada, alimentée par les mouvements anticonfinement et libertariens (et par conséquent pro-Poilievre) n’a eu que peu d’effet sur l’humeur sociale de la région. Le profil culturel des habitants des Maritimes est unique. Étant donné qu’il n’y a eu que peu de mesures de confinement sévères dans la bulle atlantique, la polarisation des électeurs est nettement moins marquée que dans d’autres régions du pays.

En matière économique, l’énergie demeure une question brûlante pour la majorité des électeurs. Pour s’attirer leur faveur, M. Poilievre devra présenter une politique énergétique plus inclusive et miser sur la collaboration et les alliances entre l’Est et l’Ouest du pays, un peu comme ce fut le cas au début des années 1980. Sa politique d’ouverture économique ne suffira pas à reconquérir les Maritimes. Il doit présenter des opportunités concrètes à la population qui se sent trop souvent délaissée par le gouvernement fédéral.

Mission critique : pourquoi le monde a besoin des minéraux canadiens

Il ne s’est pas passé une seule journée en 2022 sans que l’on rapporte une nouvelle catastrophe climatique. De la mousson qui a submergé un tiers du Pakistan à la sécheresse extrême et aux incendies de forêt en Espagne, en passant par les ouragans Fiona et Ian qui ont dévasté les communautés côtières du Canada et des États-Unis, peu de pays ont été épargnés. Et si les prédictions scientifiques sont exactes, la situation ne fera qu’empirer au fil des ans.

Alors que le monde s’efforce de réduire les émissions de CO2 pour atténuer la menace, on nous annonce de meilleurs jours grâce à l’électrification. Outre sa promesse de préserver la planète, le virage électrique offre aux entreprises de vastes possibilités en termes de nouvelles technologies, d’économies d’énergie et de réduction des coûts.

Ce changement vient avec son corollaire : un approvisionnement abondant et fiable en minéraux essentiels. Les batteries électriques nécessitent du cobalt, du lithium et du nickel, pour lesquels la demande est insatiable. McKinsey & Company estime que le marché mondial des batteries augmentera d’environ 20 % par année pour atteindre 360 milliards de dollars américains en 2030. De son côté, la Banque mondiale prévoit que la demande mondiale de minéraux stratégiques pourrait augmenter de 500 % au cours des 30 prochaines années. Pour le lithium et le graphite, cette voracité des marchés pourrait se chiffrer à 4 000 %.

Mais si la demande pour ces minéraux ne peut être comblée, l’électrification à grande échelle sera un échec. Et c’est ici que le Canada entre en jeu.

Avec ses 200 mines actives dans tout le pays, le Canada est déjà un important producteur de minéraux critiques, notamment de nickel, de potasse, d’aluminium, d’indium, de niobium, de métaux du groupe du platine, de concentré de titane et d’uranium. Le Canada a également le potentiel de fournir des quantités importantes de lithium, de cobalt, de graphite, de cuivre et d’éléments de terres rares à un monde affamé d’énergie. Réparties dans plusieurs territoires, dont la Colombie-Britannique, les Territoires du Nord-Ouest, le Québec et le « Cercle de feu » de l’Ontario, ces réserves minérales constituent un outil de développement économique considérable, en particulier pour les communautés des Premières Nations qui pourraient bénéficier de leur extraction.

Le Canada a également un autre avantage à faire valoir : sa relation avec les États-Unis. En janvier 2020, les deux pays ont annoncé un plan d’action conjoint pour la collaboration dans le domaine des minéraux critiques. Les États-Unis avaient commencé à s’intéresser à l’exploration minérale sous l’administration Trump, mais ils ont fait un pas de plus sous Biden, en annonçant le financement de projets miniers à l’étranger en vue d’obtenir les minéraux critiques nécessaires à la fabrication de technologies durables. Ce nouveau programme est motivé par des facteurs géopolitiques dans un contexte où le rival politique et économique qu’est la Chine domine le marché des minéraux critiques.

En juin 2022, les États-Unis ont établi un Partenariat pour la sécurité des minéraux (Minerals Security Partnership) avec une foule de pays, dont le Canada, afin « d’octroyer une garantie de prêt ou des services de financement par emprunt » aux pays dont les réserves sont abondantes. Le Congrès a en outre adopté une mesure de crédit d’impôt dont la moitié est liée à l’obligation de fabriquer des véhicules verts à partir de minéraux extraits ou transformés aux États-Unis ou dans tout autre pays ayant signé un accord de libre-échange avec les États-Unis, ce qui place le Canada en tête de liste.

Le gouvernement canadien n’a pas raté l’occasion et a publié un document de consultation sur les minéraux critiques cet été, la stratégie complète devant être publiée à l’automne. Le dernier budget fédéral a prévu jusqu’à 3,8 milliards de dollars pour la mise en œuvre de cette stratégie dont jusqu’à 1,5 milliard de dollars destinés à l’infrastructure de la chaîne d’approvisionnement, 144 millions de dollars pour la recherche et le développement technologique et un crédit d’impôt de 30 % pour l’exploration minière. Ces efforts ont également le potentiel de faire progresser la réconciliation avec les Autochtones dans les communautés locales.

Dans un monde tourmenté par l’incertitude climatique et géopolitique, le Canada représente une source d’approvisionnement stable et sûre sur laquelle on peut s’appuyer pour créer un monde neutre en carbone. Les gouvernements d’ici et d’ailleurs sont disposés à encourager le déploiement d’une industrie qui profitera non seulement au Canada, mais à toutes les nations de la planète. C’est maintenant au tour des investisseurs et à l’industrie de se mobiliser pour faire du Canada la superpuissance énergétique dont le monde a besoin.