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La puissance du design pour réimaginer nos sociétés et nos entreprises

DEPUIS DES DÉCENNIES, on fait appel aux méthodes, à la pensée créative et à la réflexion stratégique des designers du monde entier pour nous aider à résoudre les grands problèmes de société. Grâce aux talents des designers, l’ensemble de la société peut jouir de produits, de services et de systèmes durables, qui sont inclusifs et respectueux des différents besoins et cultures. Aujourd’hui, avec la pandémie de COVID-19 qui a révélé de profondes inégalités sociales, il y a lieu de réfléchir au monde que nous voulons construire demain. L’apport du design sera essentiel.

La crise actuelle a exposé au grand jour nos failles sur le plan humain et aucune facette de notre société n’a été épargnée. On a découvert la précarité dans laquelle vivent trop de nos concitoyens, et le rôle vital que jouent nos travailleurs de première ligne, dont on avait sous-estimé la contribution. Dans le milieu des affaires, on s’intéresse désormais aux questions sociétales, on revoit la mission d’entreprise et on est prêt à assumer un rôle accru pour relever les défis de l’heure. Dans les secteurs public et privé, le temps est venu de mettre à l’œuvre la créativité des designers et de les inviter à réfléchir aux grandes questions, en concertation avec les communautés.

« Dans le meilleur des cas, le design se concentre sur les besoins des utilisateurs et engage ces derniers dans la définition des problèmes et l’expérimentation de solutions. »

Le design est une pratique intentionnelle, créative et technique qui consiste à trouver des solutions pratiques à des besoins humains. C’est une démarche qui prend en considération les parties prenantes et s’appuie sur une vision d’avenir, en ce sens qu’elle tente non seulement de répondre aux besoins et usages d’aujourd’hui, mais aussi à ceux de demain. Dans le meilleur des cas, le design se concentre sur les besoins des utilisateurs et engage ces derniers dans la définition des problèmes et l’expérimentation de solutions. Fondamentalement, le design est lié à la mission de l’organisation, les deux découlant de décisions ayant des incidences plus larges sur les communautés et les individus.

Les designers issus des communautés noires, autochtones ou racialisées apportent leur expérience de vie et leur sensibilité à la création de designs inclusifs et porteurs de sens pour les entreprises, les consommateurs et les communautés. Afin d’encourager l’enseignement et la recherche sur le design inclusif, l’université OCAD a embauché cinq professeurs issus de la communauté noire en 2020 sous la direction de la doyenne Dori Tunstall, la première doyenne noire au monde dans le domaine du design. L’université s’est également donné des moyens d’améliorer son approche en matière de design autochtone. Cette année, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, la prestigieuse College Art Association et le Advertising and Design Club of Canada (ADCC) explorent les contributions et les approches des designers afro-descendants.

Les projets de design qui répondent à des problématiques d’aujourd’hui abondent. Récemment, les dirigeants de l’Union européenne ont adopté « le nouveau Bauhaus européen », une initiative qui vise à encourager les designers à mettre leur art au service d’une Europe post-   COVID plus égalitaire, plus résiliente et plus écologique. Ce mouvement milite pour un design durable et pour un équilibre entre fonction et esthétisme. Il appelle à une collaboration entre les entrepreneurs et les créateurs afin de lutter contre les changements climatiques, par exemple en imaginant des solutions à grande échelle dans les domaines du bâtiment, du transport ou de l’innovation numérique peu énergivore.

D’autres exemples existent. Plusieurs mouvements tel le nouveau Bauhaus s’inspirent des 24 Principles for Designing Massive Change de Bruce Mau, qui invitent à la générosité, à l’inclusion sociale et à faire preuve de sensibilité écologique. Les travaux de Mau insistent sur la valeur transformatrice d’un design sensible, en tant qu’outil pour améliorer la qualité de vie et relever les grands défis.

Concrètement, dans l’après COVID, on ne pourra plus ignorer l’importance de revoir nos espaces physiques. Nous ne pourrons tout simplement pas laisser le « business as usual » prévaloir. C’est en raisonnant selon cette logique du statu quo que nous sommes arrivés là où nous sommes aujourd’hui. Il faudra plutôt faire preuve d’audace et se montrer prêt à revoir notre utilisation de l’espace et la façon dont nous le partageons.

Le design peut aider les entreprises qui repensent leur mission et se préparent à évoluer dans un nouveau contexte. Le processus de « design thinking » et la boîte à outils du designer ont fait leurs preuves.  Durant cette démarche créative – à laquelle participe une variété d’intervenants et de sources – on détermine les besoins, on définit et résout les problèmes. Dans l’idéal, on privilégie des remue-méninges réunissant des participants de tous les niveaux de l’organisation, parfois même de l’extérieur, pour profiter d’une diversité d’expériences et d’un regard pluridisciplinaire. Ces contributions sont essentielles pour entreprendre avec sérieux un changement de mission.

En recourant à une variété de techniques, allant de l’observation et de la collecte de données à l’esquisse et au brainstorming, les participants du « design thinking » cernent les enjeux et les opportunités, puis se lancent dans l’élaboration de stratégies. Ils créent des concepts qui sont aussitôt évalués, éliminés ou améliorés, selon les commentaires des parties prenantes. L’objectif est l’amélioration continue dans un contexte en évolution. Une approche inclusive et généreuse du design fait partie intégrante du processus. On s’assure aussi de tenir compte des besoins et de l’opinion des divers individus et groupes en présence pour déterminer les besoins, les questions, les objectifs et les résultats.

La méthode du « design thinking » s’applique facilement aux innovations techniques. Mais elle est tout aussi viable dans le domaine de l’innovation organisationnelle. La méthode aide les groupes à se poser les bonnes questions compte tenu du contexte et des enjeux en présence. Elle encourage les participants à faire preuve d’empathie, c’est-à-dire à imaginer des situations à partir de regards différents. Elle peut même déboucher sur des solutions permettant de réduire les disparités économiques ou donner accès à de nouveaux bassins de candidats ou à de nouveaux marchés.

Le « design thinking » a été utilisé avec une grande efficacité dans le secteur privé. IBM l’a notamment employé dans le cadre d’une refonte radicale de sa stratégie de services et de fourniture de systèmes s’appuyant sur l’intelligence artificielle. La démarche lui a permis d’améliorer le rendement de son investissement. La Clinique Mayo, quant à elle, applique la méthode du « design thinking » afin de mieux comprendre l’expérience des patients avec les soins de santé. On analyse en profondeur l’expérience des bénéficiaires, puis on réunit médecins et designers pour discuter de l’approche des soins. Enfin, on crée puis on déploie un prototype de parcours de soins dynamique centré sur le patient.

Alors que notre monde se transforme et que nous tentons d’entrevoir le rôle qu’y jouera le secteur privé, les chefs d’entreprises et les décideurs politiques sont invités à se tourner vers le design et la méthode du « design thinking ». La pandémie a rappelé aux entreprises et à des pans entiers de l’économie la nécessité d’user de stratégies créatives pour gérer la crise et innover dans l’après COVID. Le design et ses outils permettent justement de stimuler la créativité et l’innovation, et ne peuvent que contribuer à enrichir notre réflexion sur la société.

L’avenir des enquêtes d’opinion

« L’ÉCHEC DES SONDAGES montre que la citoyenneté a gagné et que les Américains ont su s’affranchir des enquêtes d’opinion. » Cette phrase n’a pas été prononcée dans la foulée de l’élection présidentielle de 2020, mais il y a plus de soixante-dix ans. Lors de l’élection de 1948, les sondages inspiraient confiance à un point tel que la presse n’hésita pas à annoncer la victoire de Thomas E. Dewey sur Harry Truman. « Un sondeur déclare que les jeux sont faits » et « Dewey donné largement victorieux en novembre », lisait-on en manchettes.

Seulement, voilà : à la grande surprise des sondeurs et des oracles en tous genres, Truman fut réélu. À peine née, la profession fut la cible de critiques acerbes et de quolibets bien mérités (le terme anglais pollster – « sondeur » – date de cette époque; on le doit à Lindsay Rogers, qui s’inspirait du roman dans lequel Frederic Wakeman s’en prenait aux publicitaires modernes – The Hucksters, ou « Marchands d’illusions »). George Gallup dut même aller témoigner devant le Congrès.

À la suite de l’élection présidentielle américaine de 2020, les commentateurs politiques ont également prédit la fin des firmes de sondage. Comme quoi l’histoire se répète… Les Canadiens pourraient se contenter d’un haussement d’épaules, en expliquant le revers des sondeurs par la singularité des États-Unis. Une autre réaction consisterait à espérer que les choses « finissent par passer » comme le dit un vieux proverbe perse : Mais nous pouvons aussi tirer des leçons du passé, accepter les faits et saisir l’occasion de nous améliorer.

« Si elle veut ouvrir un nouveau chapitre, la profession doit commencer par réaffirmer qu’une enquête d’opinion ne se limite pas à faire des sondages. »

En 1948, le geste le plus remarquable des sondeurs a été d’éviter le déni et de regarder les résultats en face. Plutôt que d’essayer de trouver des excuses, les pionniers (George Gallup, Elmo Roper et Archibald Crossley) ont admis le dérapage et promis de faire mieux. Ils sont revenus aux principes fondateurs des enquêtes d’opinion et ont choisi d’emprunter des voies plus prometteuses. Abandonnant les sondages par quotas, ils se sont tournés vers l’échantillonnage probabiliste. Aussi, ils ont compris qu’il fallait sonder les électeurs jusqu’au jour du scrutin. Que nous disent les choix qu’ils ont faits alors sur l’avenir de la profession?

On critique souvent les sondeurs, mais les grandes entreprises, les médias, les groupes d’intérêt et les acteurs politiques comptent sur leurs lumières et leurs analyses stratégiques. La résilience de la profession tient entre autres à sa capacité d’innover sans cesse. Dans les années 1980, les interviews téléphoniques assistées par ordinateur (ITAO) ont eu un impact majeur – grâce à l’informatique, les choses devenaient plus faciles. Quand les changements de style de vie ont rendu cette approche compliquée, les sondeurs se sont tournés vers les groupes de discussion en ligne et de nouvelles manières de conduire les entretiens en ont découlé.

Aujourd’hui, les capacités illimitées de stockage et de traitement associées aux mégadonnées (big data) ouvrent de nouvelles perspectives en matière d’analyse. Nous ne faisons que commencer à saisir les possibilités qu’offrent les plateformes de gestion de données, les communautés en ligne interreliées par API et la surveillance des médias sociaux.

Si elle veut ouvrir un nouveau chapitre, la profession doit commencer par réaffirmer qu’une enquête d’opinion ne se limite pas à faire des sondages. Elle consiste à combiner des informations tirées de nombreuses méthodologies – quantitatives, qualitatives ou indirectes –pour transformer des données informes en un tableau vivant des opinions que nourrit tel ou tel groupe à propos d’un enjeu, d’une entreprise, d’un candidat ou d’un produit. Les études qualitatives, pour ne parler que d’elles, sont de plus en plus intégrées aux plans de recherche; elles révèlent des nuances et des particularités qui échappent aux autres méthodes. Disposant du portrait parlant et directement exploitable que la combinaison voulue d’outils de recherche permet de dresser, une entreprise ou un intervenant individuel peut non seulement exercer une certaine action, mais influer réellement sur les changements en cours.

Une enquête d’opinion est davantage faite pour expliquer pourquoi les gens pensent de telle façon que pour dresser des pronostics. Trop souvent, les sondeurs ne choisissent pas la bonne cible. Comme le disait Allan Gregg, ils cherchent surtout à compter les voix – dénombrant les opinions exprimées au lieu d’analyser ce qui se cache derrière et ce que ressentent les intéressés. La lumière commence à se faire quand on ne se contente plus de quantifier mais que l’on essaie de déchiffrer comment se forment les opinions.

Les pionniers n’avaient aucune idée de ce que les outils technologiques nous permettent de faire. Aujourd’hui, on parle sans arrêt de mégadonnées. C’est un peu par effet de mode, mais il n’en est pas moins vrai que l’« analytique des données massives » pourrait bien révolutionner les enquêtes d’opinion. Particulièrement intéressants sont les outils comme les plateformes de gestion de données (DMP, pour Data Management Platform), qui permettent de suivre l’activité des utilisateurs d’appareils numériques.

Une plateforme DMP est un référentiel dans lequel sont consignées des données provenant de différentes sources en ligne ou hors ligne. Il permet de définir des segments granulaires fondés sur le comportement des utilisateurs. Les données relatives à leurs champs d’intérêt, à leur profil sociodémographique, à leur lieu de résidence et à leurs habitudes (d’achat, notamment) permettent d’établir des profils individuels. La plateforme repose sur l’information générée à partir de ce qu’on appelle, de manière générale, les « mouchards » (cookies). C’est ce qui permet d’avoir une connaissance détaillée des utilisateurs.

Dès lors, l’étude de l’opinion prend une nouvelle forme. Les enquêteurs peuvent en savoir beaucoup sur les intéressés sans même leur poser de questions. Une plateforme DMP permet de savoir quels sites Web un consommateur a consultés avant d’acheter tel produit, où se déplace telle personne (son appareil mobile nous l’apprend), de quel parti politique tel électeur consulte le site, etc. Quand vous voyez apparaître à l’écran une annonce publicitaire concernant votre hôtel, votre magasin ou votre produit préféré, dites-vous que cette technologie est à l’œuvre en coulisses. Il va de soi qu’un outil qui sait déterminer vos goûts peut servir à mener des enquêtes d’opinion.

C’est un fait : les enquêtes d’opinion sont scrutées à la loupe. Les erreurs de parcours font évidemment les manchettes, mais l’étude de l’opinion continue de jouer un rôle essentiel – elle oriente les décisions des grandes sociétés, des groupes d’intérêt et des milieux politiques. Ce qui change, ce sont les méthodes. De plus en plus, les enquêteurs devront utiliser des techniques mixtes, incorporer des sources de données variées et tirer parti des derniers progrès technologiques. L’objectif reste le même : à l’aide des outils de pointe disponibles, dégager le sens des opinions individuelles – forcément diverses et parfois confuses.

Réduction du carbone : pour des règles du jeu plus claires

TANDIS QUE LA COVID-19 continue de menacer les Canadiens, les divers vaccins en cours d’approbation dans le monde nourrissent l’espoir d’en finir une fois pour toute avec cette pandémie.

Cette lutte contre la COVID-19 ne devrait cependant pas occulter les problèmes qui ont été exposés au grand jour en 2020, notamment les inégalités liées au racisme et à la richesse, les contextes politiques de plus en plus toxiques qui nous divisent ainsi que, comme nous l’ont rappelé les incendies dévastateurs en Australie, la menace du réchauffement de notre planète.

L’on pourrait croire que les préoccupations des Canadiens concernant le changement climatique ont été reléguées au second plan par rapport à d’autres enjeux plus directement liés à la pandémie, comme les soins de santé et l’économie. Cependant, selon un récent sondage du Centre canadien pour la mission de l’entreprise (CCME), les Canadiens accordent plus d’importance au défi climatique qu’à ces deux questions.

On sait que la législation et les groupes de réflexion ne suffiront pas pour résoudre le problème climatique. Il faut d’abord que s’opère un changement de mentalité dans les grandes entreprises ainsi que chez les investisseurs institutionnels. Et c’est exactement ce à quoi nous assistons en ce moment.

« Malheureusement, les accusations d’écoblanchiment à l’endroit d’entreprises, qu’elles soient fondées ou non, sont une arme rhétorique puissante qui a aussi pour effet de décourager les efforts de développement durable des entreprises. »

À l’initiative de Mark Carney, ex-gouverneur de la Banque d’Angleterre et de la Banque du Canada, le géant canadien de l’investissement Brookfield Asset Management a créé un fonds de 100 milliards de dollars US dédié à la lutte au changement climatique. En 2020, les entrées nettes dans les fonds canadiens négociés en bourse (FNB) des entreprises qui respectent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont atteint 740 millions de dollars, un montant qui dépasse largement les 142 millions de dollars investis l’année précédente et les 200 millions de dollars investis en 2018 (excluant le financement d’amorçage).

Aux États-Unis, des actifs sous gestion qui intègrent des critères spécifiques liés au défi climatique ont augmenté de 40 % par rapport à 2018, totalisant 4 200 milliards de dollars. Ce chiffre surpasse de loin les actifs liés à toute autre catégorie de critères ESG.

Il est clair que nous assistons à un changement profond des mentalités et des stratégies d’entreprise en ce qui concerne l’investissement dans le développement durable. Ce qui est moins clair cependant pour les investisseurs sensibles à l’intégration des critères ESG, c’est l’art de faire la distinction entre les efforts légitimes des entreprises en matière de responsabilité écologique et l’écoblanchiment.

Cette pratique, aussi appelée « greenwashing », consiste à faire des déclarations trompeuses pour qu’une organisation paraisse plus verte qu’elle ne l’est en réalité. Malheureusement, les accusations d’écoblanchiment à l’endroit d’entreprises, qu’elles soient fondées ou non, sont une arme rhétorique puissante qui a aussi pour effet de décourager les efforts de développement durable des entreprises.

Lorsque l’on songe aux grandes entreprises multinationales et à l’environnement, certains cas qui ont fait école nous viennent à l’esprit. On pense tout de suite aux entreprises qui ont leurré la population au sujet de leur approche et de leurs normes écologiques (pensez à BP et à la marée noire). Résultat ? Tout effort en matière environnementale mis de l’avant par les grandes organisations est la plupart du temps perçu comme une offensive de relations publiques, laquelle n’aura en conséquence qu’un impact limité. Pour les entreprises sincèrement engagées dans la lutte climatique, combattre ce scepticisme est tout un défi.

Si les initiatives privées de réduction des émissions se sont multipliées, l’écoblanchiment demeure pratique courante. Cela est dû en grande partie aux lacunes de la réglementation en matière de reddition de compte et d’application des mesures de réduction des émissions. Cette absence de transparence, de normes et de mécanismes d’application clairs dans le domaine du financement durable a permis aux mauvais joueurs de tirer profit du système, ce qui discrédite encore davantage les efforts de verdissement des entreprises.

Le marché du carbone en est un bel exemple. Une compensation carbone est un crédit accordé à une partie en échange de la réduction de ses émissions et qui peut être vendu à une autre partie pour compenser ses propres émissions. Les projets de compensation carbone peuvent prendre diverses formes, allant du financement d’un projet éolien à la restauration partielle d’une forêt tropicale. Amazon, Delta, Disney et d’innombrables autres grandes entreprises achètent des crédits carbone pour compenser les émissions nettes générées par leurs propres activités. On estime que les projets carbone permettent d’absorber 359 millions de tonnes de CO2 par an, soit plus que les émissions annuelles de la France. Le marché de la compensation carbone devrait croître davantage au cours des prochaines années grâce aux efforts de plus de 170 entreprises qui se sont engagées à devenir carboneutres d’ici 2050.

Mark Carney et d’autres intervenants estiment que le marché du carbone est un moyen simple et relativement rentable pour les particuliers, les entreprises et les gouvernements de compenser leurs émissions. Ils considèrent que ce marché fait partie de la solution climatique. À l’inverse, les critiques voient l’achat de compensations carbone comme de l’écoblanchiment. Dans leur esprit, il s’agit d’une pratique astucieuse à laquelle ont recours les entreprises pour verdir leur image sans qu’il leur soit nécessaire de réduire leurs propres émissions.

Ces critiques sont dues en grande partie au comportement des mauvais joueurs qui ont profité de l’absence de normes et de mécanismes d’application communs, rendant la ligne de démarcation très floue entre les efforts de durabilité légitimes et les activités d’écoblanchiment. Il faut savoir que les divers programmes de compensation comportent une variété de normes et de pratiques exemplaires qui les rendent difficiles à maintenir et les exposent à des activités frauduleuses et à des manipulations qui s’apparentent à celles pratiquées sur les taux d’intérêt. Ainsi, on a vu plusieurs entreprises en Chine et dans d’autres pays accroître délibérément leurs émissions de gaz à effet de serre aux seules fins d’être rétribuées pour les réduire.

Mais les exemples les plus courants concernent des entreprises qui, sciemment ou non, gonflent le niveau des compensations carbone selon leur mesure de l’impact environnemental. GreenTrees, le plus vaste projet de crédits carbone forestiers en Amérique du Nord, paie les propriétaires fonciers pour qu’ils plantent des arbres sur leurs terres, calcule l’absorption du carbone qui en résulte, puis vend des crédits carbone aux grandes entreprises. GreenTrees a été accusé de s’attribuer des crédits pour des arbres déjà plantés ou qui l’auraient été de toute façon. Si cela est exact, cela reviendrait à dire que non seulement les réductions d’émissions revendiquées sont exagérées, mais aussi les crédits achetés à GreenTrees par les entreprises. Les investisseurs qui ont acquis des actions dans ce genre de société dans le cadre d’une stratégie d’investissement ESG se trouvent ainsi floués, car il y a tout lieu de croire que l’impact écologique de leur investissement est bien moindre qu’ils ne se l’imaginent.

GreenTrees n’est que l’un des nombreux exemples qui illustrent à quel point l’absence de normes communes et de surveillance réglementaire peut miner la légitimité du marché du carbone. Les entreprises et les investisseurs peuvent atténuer le risque lié à l’achat de compensations comportant des déclarations de réduction trompeuses en s’adjoignant les services de vérificateurs ou de groupes de normalisation comme The Gold Standard ou Green-e. Toutefois, cela ne résoudra pas à lui seul le problème de crédibilité qui entache le marché du carbone.

Les organismes de réglementation, les dirigeants d’entreprise et les grands investisseurs doivent travailler de concert pour convenir de normes, de conditions, de processus de vérification et de politiques de divulgation universels liés à la vente et l’achat de crédits carbone. Si des normes et mécanismes d’application adéquats ne sont pas instaurés, les allégations d’écoblanchiment continueront de trouver justification. Les investisseurs et les entreprises perdront confiance dans l’efficacité du système d’échange, retirant ainsi aux entreprises et aux décideurs politiques un outil qui leur est précieux pour atteindre leurs objectifs climatiques ambitieux.

Une génération dans la tourmente, et prête au changement

La pandémie de COVID-19 a changé radicalement notre façon de voir le monde du travail, une situation jamais vue depuis une génération, peut-être même depuis toujours. Et pendant que les entreprises laissent tomber les modèles traditionnels pour s’ajuster aux réalités de la pandémie, une nouvelle cohorte de travailleurs se pointe le bout du nez : la génération Z.

« Et pendant que les entreprises laissent tomber les modèles traditionnels pour s’ajuster aux réalités de la pandémie, une nouvelle cohorte de travailleurs se pointe le bout du nez : la génération Z. »

En plus de la COVID-19, l’arrivée des Z coïncide avec d’importants changements démographiques et une sensibilité accrue sur des questions urgentes comme la crise climatique. Nous sommes à un moment charnière de l’évolution de notre société. Et il est fort à parier qu’un jour, cette génération Z sera considérée comme l’un des acteurs des changements qui s’amorcent.

La génération Z est la génération qui succède aux millénariaux. Alors que ces derniers regroupent les personnes nées entre 1981 et 1996, la génération Z englobe celles qui ont vu le jour à partir de 1997. Actuellement, la génération Z subit plus que tout autre groupe les contrecoups économiques et psychologiques de la pandémie. Mais l’histoire nous apprend que de chaque crise naissent des opportunités. Aussi, il vaut la peine d’essayer d’entrevoir le rôle que pourrait jouer ce groupe d’étudiants et de jeunes professionnels dans l’organisation du travail à l’avenir. Pour ce faire, penchons-nous sur la crise financière de 2008 et tentons de tracer des parallèles.

Il y a dix ans, après une récession marquée par le déclin soutenu de l’activité économique et l’affaissement du secteur manufacturier, l’économie de l’Amérique du Nord a commencé à se redresser. Durant la décennie qui a suivi, les travailleurs ont commencé à repousser l’âge de leur retraite, et les millénariaux, qui constituaient alors la génération la plus diversifiée sur le plan ethnique que le Canada ait connue, ont profité de milieux de travail plus intéressants que leurs parents. La participation des femmes à la vie active s’est accrue et le niveau d’éducation a augmenté. Il y avait de l’espoir.

Les millénariaux ont contribué à façonner cette économie post-récession. Leur esprit inventif a favorisé l’émergence de jeunes pousses dans des villes américaines comme Palo Alto, en Californie, à New York, et plus près de chez nous, à Vancouver, Montréal et Toronto. Leur participation à la vie économique a transformé le monde des affaires et certains aspects propres à la culture des start-ups – comme le télétravail, les jours de vacances illimités et les tenues vestimentaires décontractées – se sont frayé un chemin jusque dans les entreprises.

Dans les bureaux de Bay Street à Toronto et dans d’autres pôles d’activité du pays, le concept du travail de 9 à 5 est devenu obsolète, les téléphones filaires ont perdu la cote et les personnes ont cessé de rêver à occuper un grand bureau. Tous ces changements sont survenus grâce aux technologies mobiles qui, en plus d’accroître la productivité, ont fait en sorte qu’il était devenu beaucoup plus difficile de se libérer du travail en fin de journée…

Bien que les millénariaux n’aient pas été les seuls instigateurs de cette métamorphose, ils se sont adaptés avec plus de facilité que leurs collègues plus âgés. C’est maintenant au tour des jeunes diplômés de la génération Z de pénétrer le milieu des entreprises. Les organisations pourront profiter de leur grande capacité d’adaptation, de leur savoir numérique et de leur aisance naturelle à composer avec les cultures d’entreprise en évolution que les millénariaux ont contribué à mettre en place.

Pour la première fois de l’histoire, nous voyons la première génération du tout numérique côtoyer une génération qui est entrée sur le marché du travail alors qu’aucun des outils technologiques actuels n’existait (pour ne mentionner que l’internet, les ordinateurs modernes et les téléphones portables). Alors que les générations plus âgées ont dû apprendre à faire usage de ces nouvelles technologies au quotidien, spécialement durant la pandémie, la génération Z, en revanche, n’a jamais vécu sans elles.

Depuis que la pandémie a forcé les organisations à passer au télétravail, la culture qui a bercé la génération Z fait l’envie de tous. Les baby-boomers et les X, moins habiles avec les nouvelles technologies, ont été contraints de s’adapter aux diktats du travail à distance. Bien que cela ait pu causer des tensions intergénérationnelles, l’adoption massive de la technologie aura permis de rétablir un tant soit peu les disparités entre les natifs du numérique et les autres.

Rappelons-nous qu’avant même la pandémie, plusieurs d’entreprises cherchaient des manières d’intégrer des horaires de travail flexibles et le travail à distance dans le cadre organisationnel. La COVID-19 a forcé la réflexion et démontré aux employeurs et aux grandes entreprises les avantages durables du travail à domicile.

L’époque où les bureaux luxueux et coûteux étaient la norme est révolue. On découvre aujourd’hui de nouvelles façons de travailler en adoptant des formules souples de travail qui permettent de diminuer les coûts d’exploitation. Cela donne aux entreprises plus de latitude pour investir dans les récentes technologies de pointe, leur attirant du coup un bassin de recrues ravies de jouir d’une flexibilité accrue.

Malgré leur pouvoir d’influence et les tendances lourdes qui leur sont favorables, les millénariaux, entrés sur le marché du travail au plus fort de la récession de 2008, et les membres de la génération Z ont été passablement éprouvés par l’insécurité financière ou sociale. Selon un rapport publié en 2019 par l’American Psychological Association, le niveau d’anxiété moyen des jeunes adultes qui arrivent sur le marché du travail est plus élevé que celui des générations précédentes. La santé de certains Z, en particulier ceux qui habitent seuls ou qui viennent de s’installer dans une ville, dépend des interactions sociales, ce que seul permet un travail en présence d’autres collègues.

La période de changement que nous vivons n’est facile pour personne. Toutefois, les possibilités de s’épanouir et de contribuer à façonner l’avenir du pays sont nombreuses pour ceux qui savent s’adapter. De plus en plus, les employeurs seront appelés à tenir compte des valeurs de la génération Z, à leur prêter l’oreille et à se réinventer en matière d’organisation du travail.

Selon le magazine Forbes, les membres de la génération Z – qu’ils soient consommateur ou travailleur – s’intéressent d’abord aux entreprises qui appuient les politiques de développement durable et reconnaissent les droits de la personne. Il y a dix ans, les millénaires n’en pensaient pas moins, mais les entreprises de l’époque n’harmonisaient pas leurs objectifs de responsabilité sociale et leurs objectifs commerciaux, ce qui passait encore…

De nos jours, les réticences institutionnelles à l’égard de la responsabilité sociale semblent sur le point de céder. Bay Street embrasse le mouvement antiplastique, appuie les sommets sur le changement climatique et les allocations de ressources pour les initiatives vertes. Selon une étude réalisée par le Centre canadien pour la mission de l’entreprise, 78 % des Canadiens estiment que les entreprises canadiennes devraient en faire plus pour améliorer la société. Tout cela témoigne de l’évolution des entreprises canadiennes et des pressions qu’elles subissent pour améliorer non seulement leur valeur actionnariale, mais aussi leur performance en matière sociale.

Tout comme les générations précédentes, la génération Z est appelée à participer à l’histoire. La pandémie est parvenue à façonner notre manière d’appréhender le travail, et ce, dans toutes les sphères d’activité. Elle marquera aussi un tournant décisif et durable dans la vie de la génération Z.

Les gens s’interrogent avec raison sur l’avenir du monde du travail. On soupèse le choc de l’automatisation, on analyse les tendances du marché et on scrute les politiques publiques. Il est maintenant temps de s’intéresser de plus près à la génération Z.

[1] https://www.ft.com/content/0dec0291-2f72-4ce9-bd9f-ae2356bd869e https://www.bnnbloomberg.ca/generation-z-takes-a-heavy-jobs-hit-from-covid-19-in-canada-1.1433664[2] https://www.forbes.com/sites/esade/2019/03/13/csr-purpose-brands-and-gen-z/?sh=42ae584e1584 [3] https://navltd.com/insights/ccpc/barometer-09-2020/

Le prix de la censure au nom de la vertu

Alors que les Canadiens soupèsent encore les conséquences, bonnes et mauvaises, de la 59e élection présidentielle américaine, les stratèges politiques analysent le rôle joué par Facebook dans cette campagne, et prennent la mesure de l’influence du plus grand réseau social du monde. Grâce à différentes stratégies, qui vont de la promotion des activités de financement locales au microciblage des électeurs indécis, Facebook s’est imposée comme la principale plateforme numérique de publicité à des fins politiques. 

L’étendue de l’influence de Facebook s’est véritablement révélée en 2017 lorsque le PDG Mark Zuckerberg a déclaré à la sous-commission judiciaire du Sénat sur la criminalité et le terrorisme que 81 millions de dollars (USD) avaient été dépensés sur la plateforme pour les élections de 2016.1 Depuis lors, Facebook est devenue la pierre d’assise des stratégies de campagne, tous partis confondus.

« Autrefois courtisée par les deux camps en raison des possibilités qu’offrait sa plateforme, Facebook est aujourd’hui le bouc émissaire aussi bien de la droite que de la gauche. »

Lorsque Facebook a annoncé des restrictions sur les publicités politiques durant la semaine précédant l’élection de 2020, son intention avouée était « de réduire la confusion ou les abus 
éventuels ». Une remarque qui n’a rien de rassurant dans le contexte d’une élection visant à choisir le futur dirigeant du monde libre. Plusieurs se sont demandé avec raison pourquoi maintenant ? Facebook s’est toujours ardemment opposée à toute forme d’interdiction des publicités politiques, alors d’où vient ce changement de cap ? Pour répondre à cette question, examinons globalement le rôle de Facebook dans le système politique américain. Nous en analyserons ensuite les possibles répercussions au Canada.

Restrictions sur les revenus

Pour la première fois, Facebook se retrouve au cœur d’une bataille politique entre démocrates et républicains. Autrefois courtisée par les deux camps en raison des possibilités qu’offrait sa plateforme, Facebook est aujourd’hui le bouc émissaire aussi bien de la droite que de la gauche.

Les démocrates ont vivement dénoncé Facebook pour son absence de réglementation pour combattre la désinformation. L’accusation est sérieuse quand on connaît l’importance du vote indécis dans l’élection. De leur côté, les républicains se sont plaint de la censure, laquelle aurait favorisé les idées de gauche. Qu’importe où se situe la vérité, il est clair que Facebook se trouve coincée entre l’arbre et l’écorce.

Jodi Butts, membre expert du Centre canadien pour la mission de l’entreprise, a plutôt vu dans la crise existentielle de Facebook le syndrome d’une crise liée à sa mission :

 « Lorsqu’une entreprise ou une personnalité publique subit les foudres aussi bien de la gauche que de la droite, cela nous laisse supposer deux choses. Ou bien elle occupe effectivement le centre idéologique – ce qui explique qu’elle déplaise à de nombreuses personnes qui se situent de part et d’autre du spectre politique – ou bien elle a oublié sa véritable raison d’être par esprit mercantile, ce qui a pour effet de créer des insatisfactions dans les deux camps. En ce qui concerne Facebook, la deuxième hypothèse me semble plus vraisemblable. »2  

Après les élections de 2016, Facebook s’était montrée prudente, adoptant un rôle passif et profitant des querelles politiques pour nourrir sa plateforme. Elle avait conservé une posture de neutralité, laissant l’information circuler librement et les utilisateurs former leurs propres opinions. Mais force est de constater aujourd’hui que cette approche a échoué. 

Que s’est-il donc passé ?

Alors que le contrôle du Sénat demeure toujours incertain, l’État de la Georgie étant entrainé dans un deuxième tour d’élection sans précédent, Facebook a annoncé la prolongation de ses mesures restrictives pour une durée d’un mois.

La réaction négative des démocrates n’a pas tardé à se faire entendre. Les groupes de campagne et les instances politiques du parti ont fait écho au sentiment animant l’autre côté de la Chambre : les électeurs indécis ont droit à l’information et les restrictions imposées par Facebook constituent une censure, clame-t-on. Il faut savoir qu’en Georgie, les démocrates ont espoir de remporter deux sièges traditionnellement républicains, mais ces derniers ont déjà amassé 28 millions de dollars de plus que leurs adversaires grâce aux Super PAC et aux activités de financement directes.3  

« L’interdiction, délibérée ou non, de la publicité sur Facebook empêche les démocrates de réaliser leurs objectifs. »

La collecte de fonds en ligne est la clé de la stratégie démocrate. L’interdiction, délibérée ou non, de la publicité sur Facebook empêche les démocrates de réaliser leurs objectifs. Au moment où la nation entière a les yeux tournés vers la Georgie, la perte d’outils de financement essentiels en période électorale affaiblit considérablement leur pouvoir de mobilisation sur le terrain. 

Voilà donc le prix à payer pour une censure faite au nom de la vertu. En essayant d’apaiser la frustration des deux partis, Facebook s’est plutôt posée maladroitement comme la responsable du succès ou de l’échec de la prochaine administration. Alors que la plateforme jongle avec l’idée de lever les restrictions, les stratèges démocrates sont déjà partis en guerre. S’ils parviennent à gagner cette bataille de David contre Goliath sans l’aide de Facebook, l’on commencera sans doute à questionner le pouvoir réel de cette plateforme dans les campagnes électorales. 

La question est maintenant de savoir quelle direction prendra Facebook.

Tous l’ignorent pour l’instant, mais si l’on suit le raisonnement de Jodi Butts, Facebook a manqué de jugement en jouant la carte de la neutralité. La dissension présente sur sa plateforme ne date pas d’hier et n’est pas le fruit d’un accident de parcours : elle découle directement de son modèle d’affaires. 

En restreignant les publicités de nature politique une semaine avant les élections et en maintenant temporairement cette interdiction, Facebook a commis une grave erreur. On peut certes louer son désir de mettre fin au mécontentement populaire des dernières années, mais la bataille que mène aujourd’hui Facebook contre la désinformation risque fort de paralyser les efforts d’un parti politique pour remporter le Sénat. En limitant la publicité payante, Facebook espérait freiner la propagande de droite sur sa plateforme. Malheureusement, cela a aussi pour effet d’empêcher la diffusion de contenu électoral payant et tout à fait légitime.

Facebook doit maintenant trouver une solution permanente qui lui permettrait de continuer à lutter contre la désinformation, et ce, sans sacrifier les contenus pertinents. En essayant d’apaiser les deux parties, la plateforme s’est livrée à un jeu dangereux et n’a pas atteint son objectif d’impartialité.

Qu’est-ce que cela signifie pour le Canada ?

Il faut s’attendre à ce que les décisions prises par Facebook aux États-Unis finissent par s’appliquer au nord de la frontière. C’est pourquoi les observateurs de la scène politique canadienne surveillent de près ce qui se passe au Sud. Les environnements publicitaires des deux pays sont certes différents, mais les enjeux restent les mêmes.

Aux États-Unis, tout est permis, ou presque, en matière de publicité à des fins politiques. Les médias sont peu réglementés, et pour survivre financièrement, ils ont besoin d’annonceurs fortunés qui possèdent d’énormes budgets publicitaires. Au Canada, en revanche, la publicité politique fait l’objet d’une surveillance stricte et transparente. Lors des élections fédérales de 2019, les dépenses publicitaires en ligne des trois grands partis pour la publicité en ligne ont totalisé 7,8 millions de dollars, soit moins de 10 % de ce qui a été dépensé pendant les élections américaines de 2016.4  

Le dollar investi dans la publicité au Canada fait cependant beaucoup plus de chemin qu’aux États-Unis, Les contraintes liées aux dépenses de campagne ainsi que les budgets qui y sont alloués obligent les stratèges d’ici à planifier les achats publicitaires avec ingéniosité. En dépit des lois canadiennes, Facebook a pris les devants sur ses concurrents. Cela s’explique en partie par les politiques beaucoup plus strictes adoptées par Google et Twitter en matière de publicité au pays. Aussi, les stratèges de campagne comptent beaucoup sur Facebook pour maximiser leur portée et leur influence. Lors des élections provinciales de 2020, le Parti libéral de la Colombie-Britannique a dépensé plus de 40 000 dollars par jour sur Facebook.5 Contraintes ou pas, la publicité en ligne, en particulier sur Facebook, demeure au cœur des stratégies politiques canadiennes.

Les limites publicitaires établies par Facebook aux États-Unis vont sans aucun doute finir par s’appliquer chez nous, car le réseau social n’aura pas le choix de s’ajuster au contexte canadien, un contexte cela dit qu’il a lui-même contribué à créer. Le ciblage des populations vulnérables et la diffusion de fausses informations sont des préoccupations légitimes des citoyens, des décideurs politiques et même de Facebook. Ironiquement, la majorité des acteurs qui font pression pour un changement utilisent eux-mêmes le média social pour influencer ses abonnés. Car s’ils n’aiment pas faire avec, ils sont bien incapables de s’en passer.

Au Canada, alors que des élections se profilent à l’horizon du printemps 2021, on tarde à connaître les décisions que prendra Facebook. Avec leurs maigres budgets, les stratèges devront déterminer la distribution de leurs dépenses et déployer des trésors d’imagination pour obtenir l’impact désiré avant le jour fatidique des élections. Ils devront aussi s’accommoder de l’interdiction de publicité en ligne imposée par Élections Canada le jour des élections. Une éventuelle restriction de Facebook ne fera que compliquer les choses.

Facebook peut espérer rester neutre durant la campagne électorale canadienne, mais quelles que soient les nouvelles règles mises en place, celles-ci influenceront grandement les stratégies utilisées par nos partis politiques et le gouvernement que nous élirons. Tant que le géant des médias sociaux n’aura pas adopté une position sur la publicité politique et les stratégies de ciblage dans le contexte canadien, les acteurs politiques lui resteront soumis.

Facebook se transformera-t-elle en agrégateur de contenu ? En éditeur ? Ou en véhicule d’information impartial ? Tout indique que la politique canadienne de Facebook épousera le modèle américain et bannira la publicité à des fins politiques durant les prochaines élections. Les dirigeants politiques canadiens piaffent d’impatience en attendant le signal du grand manitou.

[1] https://www.vox.com/2017/11/1/16588374/live-updates-facebook-google-twitter-testify-senate-congress-russia-president-election

[2] https://nationalpost.com/opinion/opinion-facebook-has-lost-its-purpose-theres-a-lesson-in-that-for-all-organizations

[3] https://www.cnn.com/2020/11/18/politics/georgia-senate-runoff-races-republican-cash/index.html

[4] https://www.ctvnews.ca/politics/tv-online-ads-take-lion-s-share-of-party-election-spending-new-reports-show-1.4996155

[5] https://vancouversun.com/news/politics/bc-election/b-c-election-2020-liberal-party-leads-in-facebook-spending-since-the-election-was-called