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Perspectives | Édition 12

Notre magazine d'idées et de nouvelles façons de penser

Le plus grand risque pour le Canada est celui de ne pas en prendre

10 novembre 2023
Graham Fox
Graham Fox | Directeur Principal
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Le Canada perdra des occasions de renforcer et de renouveler son économie s’il ne rompt pas avec sa culture politique peu encline à prendre les risques nécessaires à son avancement

 

Carboneutralité en 2050.

Zéro déchet plastique en 2030.

100 millions d’habitants en 2100, aucun problème économique, aucun délai d’attente dans les services publics et pas de troubles sociaux.

Absolument improbable.

Les Canadiens ont l’habitude d’entendre des dirigeants politiques exprimer leurs grands rêves pour le pays. Mais ils sont déçus plus souvent qu’à leur tour. Ils commencent à se rendre compte que ces promesses ne se fondent sur aucun objectif concret, ni même sur des projets valables. Ce sont des paroles en l’air, cyniques et vides de sens. Pas terrible pour le climat politique.

En dépit des objectifs qu’il s’est fixés, le Canada demeure l’un des dix premiers émetteurs mondiaux de GES par habitant, et seulement 9 pour cent de ses déchets plastiques sont recyclés. L’immigration, qui devrait être un atout pour notre économie, est freinée par la pénurie de logements, les problèmes de transport et la difficulté d’accès aux soins de santé.

Toutes ces questions relèvent du même problème, le “risque d’horizon”. Pour les régler, il faudrait un regard neuf et de la vision. Nos dirigeants semblent plutôt doués pour fixer des objectifs très ambitieux pour le pays, mais sans plus. Disons-le clairement : le leadership se révèle et se mesure par l’action, en mobilisant les ressources, en ralliant la population et en se mettant à l’oeuvre. Le travail ne consiste pas à fixer des objectifs et à diffuser des communiqués de presse.

Le problème est exacerbé par notre manque de courage politique. Cela fait plus de 20 ans qu’un parti fédéral n’a pas obtenu plus de 40 pour cent du vote populaire. Dans un système uninominal à un tour et dans un environnement caractérisé par la fragmentation de l’information, les partis politiques se montrent peu audacieux et cherchent avant tout à former la plus petite coalition gagnante possible. Par conséquent, ils privilégient la lutte partisane et la victoire rapide plutôt que la promotion d’une vision politique à long terme.

La crise du coût de la vie qui frappe les Canadiens nous offre un bon exemple de cette approche à courte vue. Tous les sondages nous confirment que les problèmes liés à la hausse du coût de la vie viennent en tête des préoccupations des citoyens. Sans surprise et par calcul politique, nos politiciens y accordent leur attention : il vaut mieux ne s’intéresser qu’aux problèmes qui peuvent être réglés rapidement.

Mais ils se trompent.

C’est dans les périodes de grands bouleversements que les grandes idées politiques sont les plus nécessaires et les plus attendues par le public, et ce, en dépit des risques considérables qu’elles comportent. La raison en est simple: lorsque le pays a le dos au mur, le public est plus disposé à laisser aux décideurs politiques la latitude requise pour redresser la situation.

Autrement dit, le moment est venu aujourd’hui de prendre des risques.

Dans son nouvel essai fort instructif Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism, Mariana Mazzucato, professeure à l’University College de Londres, affirme: « La politique ne consiste pas seulement à “intervenir”. Elle sert à façonner l’avenir: cocréer des marchés et de la valeur, et pas seulement “corriger” les marchés ou redistribuer la valeur. Il s’agit de prendre des risques, et pas seulement de “réduire les risques”. Et il ne s’agit pas d’uniformiser les règles du jeu, mais de les orienter vers le type d’économie que nous souhaitons. »

Cela peut sembler contre-intuitif pour une classe politique qui a tiré les mauvaises leçons des échecs politiques du passé. Pour elle, tenter de nouvelles choses vous expose à des problèmes, alors il est plus prudent de ne rien tenter de nouveau. Mais pour le Canada, le risque le plus immédiat et potentiellement le plus coûteux est de ne pas prendre de risques du tout.

Dans le domaine de la recherche et du développement, le Canada se classe au 26e rang des pays de l’OCDE. Dans le domaine des infrastructures, selon des rapports indépendants, notre déficit se situerait entre 110 et 270 milliards de dollars. En matière de lutte contre les changements climatiques et d’investissement dans l’innovation verte, nous n’atteignons pas les cibles internationales et nous n’avons toujours pas défini les politiques vigoureuses dont nous avons besoin pour espérer profiter de retombées économiques et environnementales à long terme.

L’absence de prise de risque se reflète également dans la vision des principaux partis politiques, qui n’ont pas réussi à proposer un projet d’avenir cohérent pour notre économie et le bien-être durable de nos concitoyens. Ce n’est pas en dépensant plus que nous relèverons ces grands défis de société. C’est en adoptant une nouvelle façon de penser et en étant prêts à prendre des risques.

Force nous est de constater que c’est la myopie politique et l’aversion pour le risque qui nous ont conduits là où nous sommes, et que ce n’est pas en rafistolant nos politiques et nos programmes que nous arriverons à quelque chose. Pour la prospérité future du Canada, il importe de reconnaître et de valoriser le risque dans nos débats politiques. Le temps presse, car les occasions passent et ne reviennent pas toujours.

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À propos de l'auteur :

Graham Fox
Graham Fox | Directeur Principal
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At titre de Directeur principal et Président du panel d’experts du Centre canadien pour la mission de l’entreprise, Graham met au profit des clients de la firme vingt ans d’expérience de direction dans les domaines de la politique, des politiques publiques, des affaires publiques et des relations gouvernementales.

Avant de se joindre à Navigator, il a été président et chef de la direction de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), le principal think tank multidisciplinaire du Canada, pendant dix ans. Il a été conseiller en politiques stratégiques au cabinet d’avocats Fraser Milner Casgrain (aujourd’hui Dentons LLP), dont il conseillait les clients en matière de relations gouvernementales. Il a aussi occupé d’importantes fonctions politiques comme chef de cabinet du dirigeant d’un parti fédéral, attaché de presse d’une campagne à la direction d’un parti national et candidat à une élection provinciale.

Graham compte parmi ses principaux intérêts de recherche le fédéralisme, le renouvellement démocratique et l’engagement citoyen. Il est titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’Université Queen's, où il a été boursier Loran, et d’une maîtrise en science politique de la London School of Economics.  Bénévole engagé, il est administrateur du Centre parlementaire et du Gesù-Centre de créativité.  Il siège également au comité aviseur de l’école de politiques publiques de l’Université Queen’s.

Souvent invité comme analyste politique par les médias, il a codirigé avec Jennifer Ditchburn la publication de The Harper Factor (2016), une analyse de l’impact du 22e premier ministre du Canada sur les politiques publiques.

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