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Ondes de choc venant du Sud

18 NOVEMBRE 2020

LES CANADIENS ENTRETIENNENT un rapport complexe avec la politique présidentielle américaine. Le récent spectacle venant du sud de la frontière, alimenté par la télévision et les puissants groupes d’action politique, a réussi à capter notre attention comme le ferait un grand événement sportif ou une performance musicale en direct.

Mais pour bien des entreprises canadiennes, ces élections n’avaient rien d’amusant. Très peu de pays sont aussi dépendants d’un seul partenaire commercial que ne l’est le Canada des États-Unis. Lorsque les relations commerciales fonctionnent, nos deux pays ne se contentent pas d’échanger des biens et services, mais coopèrent à des projets communs. Les institutions culturelles canadiennes sont façonnées selon les modèles qui émergent au sud, ou, parfois, en réaction à ceux-ci. Et que dire de nos dirigeants politiques ? Ils surveillent constamment les faits et gestes de leurs homologues américains, et tentent d’y réagir au mieux.

On se rappellera que Pierre Trudeau, 15e premier ministre du Canada, a déjà dit des relations avec son voisin que c’était comme « dormir avec un éléphant, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements ». Ces propos de l’ancien PM ont été repris maintes et maintes fois, mais ils sont toujours d’actualité.  Quelles seront les conséquences de la 59e élection présidentielle américaine ? Rien n’est moins clair.

Le milieu des affaires canadien a complètement perdu ses repères après l’élection de Donald Trump en 2016 et la montée de la politique conservatrice populiste aux États-Unis. Du jour au lendemain, il n’y avait plus de consensus sur les questions du commerce, de la coopération multilatérale et du développement durable.

Quatre ans plus tard, voilà que les États-Unis prennent une nouvelle direction, et nous essayons toujours de comprendre ce que cela signifie. Sous réserve de toute contestation juridique, une présidence Biden est une victoire pour les progressistes et les centristes aux États-Unis, ainsi que pour les alliés internationaux qui souhaitent voir les États-Unis reprendre son rôle ambitieux de chef de file.

Cela dit, le style politique qui a caractérisé le règne de M. Trump demeure redoutable. Avec un Sénat éventuellement républicain et une Cour suprême à tendance conservatrice, rien n’indique qu’il suffira à l’administration Biden-Harris d’agiter la baguette magique pour ramener la situation à la normale. En ce sens, on a moins l’impression de dormir avec un éléphant que de dormir avec un caméléon, que l’on observe sous tous les angles pour en découvrir la vraie couleur.

Le temps risque de paraître long pour les entreprises canadiennes.  Certes, on peut se faire une meilleure idée de ce qui nous attend en examinant les promesses faites durant la campagne, le rôle joué par les médias sociaux dans l’élection et les mandats qui échoient aux représentants élus à des postes législatifs et exécutifs.

Nos collègues de Navigator partout au pays ont analysé la situation pour vous et nous font part de leurs réflexions sur cinq sujets d’intérêt pour les entreprises canadiennes.

 

 

 

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TROUVER UN TERRAIN D’ENTENTE SUR LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE

Zoe Keirstead, Conseillère, Calgary

ON LE SAIT, l’industrie énergétique canadienne est menacée par un triple phénomène : la pandémie, la chute dramatique de la demande et la guerre des prix sur les matières premières. Bien qu’une présidence éventuelle sous Joe Biden présente son lot de défis, elle constitue aussi une occasion de resserrer les liens et d’installer un climat de collaboration bilatérale.

Qu’ont en commun les géants du pétrole et du gaz, le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney, le premier ministre Justin Trudeau et le président élu Joe Biden ? Ils partagent la même volonté de travailler ensemble pour lutter contre le dérèglement climatique et préserver les avantages économiques que procure le secteur énergétique. Le Canada et les États-Unis n’ignorent pas l’impact de l’industrie pétrolière et gazière, non seulement sur les économies du monde, mais aussi sur la qualité de vie. Le Canada n’est pas à l’abri des divisions politiques sur ce sujet controversé, mais dans le secteur du pétrole et du gaz, on observe déjà une volonté de collaboration prometteuse.

« Le Canada n’est pas à l’abri des divisions politiques sur ce sujet controversé, mais dans le secteur du pétrole et du gaz, on observe déjà une volonté de collaboration prometteuse. »

Jason Kenney et Justin Trudeau sont en désaccord sur bien des politiques, mais tous deux s’entendent sur la nécessité de prolonger le pipeline Keystone XL chez notre voisin du sud. Au début de cette année, chacun a clairement campé sa position : Kenney a investi 1,5 milliard de dollars, tandis que Trudeau a déclaré qu’il n’hésiterait pas à faire pression pour la construction de l’oléoduc, quel que soit le président américain en place.

Le Canada et les États-Unis se rejoignent sur des sujets comme l’environnement, l’égalité sociale, la diversité, l’inclusion et la gouvernance démocratique.  L’industrie du pétrole et du gaz en Amérique du Nord partagent ces mêmes valeurs, ce qui n’est malheureusement pas le cas de plusieurs autres pays producteurs de pétrole comme le Venezuela, la Russie et l’Arabie saoudite.

Sur le plan environnemental, le marché intégré de l’énergie de l’Amérique du Nord est considéré comme le plus éthique et le plus responsable au monde. Toute perturbation aurait des répercussions des deux côtés de la frontière. Pour assurer la sécurité énergétique du continent et maintenir l’approvisionnement essentiel en produits pétroliers et gaziers de source éthique, il est essentiel de disposer d’une infrastructure de transport sûre et fiable. M. Biden a déclaré qu’il mettrait fin au projet de pipeline, qui ne cadre pas dans ses plans de transition énergétique ni avec ses objectifs de lutte contre le changement climatique. Dans un monde post-pandémique, il devra cependant maintenir le fragile équilibre entre la sécurité énergétique, l’emploi et l’économie.

Les relations entre le Canada et les États-Unis n’ont pas toujours été faciles, comme en témoigne la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui a abouti à l’accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Il serait avisé de s’inspirer de ces négociations en accordant tout le soin requis à la représentation canadienne quand viendra le temps de discuter de projets économiques essentiels tel Keystone XL.

Le Canada et les États-Unis ont une occasion de collaborer avec l’industrie pour renforcer la sécurité énergétique de nos pays et de s’attaquer conjointement au défi climatique, ce qui serait impensable avec des pays comme la Russie ou l’Arabie saoudite.

Nos pays entretiennent une relation privilégiée et historique, qui s’est forgée grâce à une géographie commune, des liens économiques étroits et une amitié réciproque. Cette relation peut et doit continuer de se nourrir grâce une intégration plus poussée de nos secteurs énergétiques.

 

 

 

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ON A BESOIN DE LEADERSHIP

Philippe Gervais, Directeur général, Montreal

DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE, la personne qui occupe le Bureau ovale endosse le rôle de « chef du monde libre », à juste titre d’ailleurs. Depuis toujours, que ce soit à l’occasion d’une réunion du G7, de l’OTAN ou de l’ONU, le président des États-Unis, qu’il soit démocrate ou républicain, dirige les grandes coalitions de pays démocratiques dans le monde entier. Bien que l’étoile de l’occupant du Bureau ovale ait quelque peu pâli depuis la fin de la guerre froide, jamais n’aura-t-on vu un tel affaiblissement du pouvoir d’attraction américain que sous la présidence de Donald Trump. Son manque de respect et de considération envers les alliés historiques des États-Unis et son approche intimidante et querelleuse à tout propos ont causé des dommages au niveau international qui ne seront pas colmatés de sitôt.

La popularité et le respect dont jouissaient les présidents américains à l’étranger ont été la clé du succès des É.-U. sur le plan international. Trump aurait-il eu l’autorisation de déployer des armes nucléaires à courte portée sur les territoires allemand et anglais, pour ainsi faire plier la défunte Union soviétique, comme l’a fait Reagan dans les années 1980 ? Aurait-il réussi à mobiliser la coalition contre l’Irak comme l’a fait le président Bush ? Aurait-il pu guider le monde à travers les grandes réformes économiques des années 1970, 1980 et 1990 qui ont façonné l’économie mondiale ? Au cours des quatre dernières années, le pouvoir politique attaché à la fonction présidentielle et la capacité d’influencer les citoyens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières des États-Unis, ont été perdus. Le vide laissé est immense.

Après quatre années d’imprévisibilité, de désinformation et d’impolitesse, l’arrivée de Biden est un cadeau du ciel pour les relations canado-américaines. Le Canada n’avait jamais été aussi durement traité par un président. Pendant plus de la moitié du mandat de Trump, on ne trouvait qu’une chaise vide à l’ambassade américaine à Ottawa. Et lors d’une réunion du G7 à Charlevoix en 2018, on se souvient du passage éclair de M. Trump.  Assisterons-nous, entre Biden et Trudeau, à une bromance à la Trudeau-Obama ou à une complicité semblable à celle, toute irlandaise,  de Mulroney-Reagan ? Le temps nous le dira, mais la plupart des Canadiens se contenteraient d’une relation normale.

« Il n’y a pas de solution immédiate aux problèmes auxquels les entreprises et les gouvernements sont confrontés – du changement climatique à la pandémie mondiale, en passant par les inégalités de revenus – mais les Canadiens peuvent être rassurés : il y aura désormais une présence expérimentée et influente à la table des négociations. »

L’arrivée de Biden ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de de problèmes entre nos deux pays. Les questions de Keystone XL, du bois d’œuvre et une attitude protectionniste « Buy American » soulèveront des frictions. Pour les Canadiens, en revanche, le simple fait de travailler avec un président qui aborde les problèmes en s’appuyant sur des faits et des réalités politiques, et qui recherche un résultat gagnant pour tous, signifie que nous avons de meilleures chances de résoudre nos différends.

La création de coalitions, la collaboration avec les alliés et la recherche d’un terrain d’entente seront sans doute au cœur de l’approche Biden. Le président élu a clairement démontré sa volonté de redonner une stature présidentielle à son rôle sur la scène mondiale et de réintégrer sa place de chef du monde libre. Cela est de bon augure pour de nombreuses organisations internationales où les États-Unis joueront une fois de plus un rôle de premier plan dans la recherche de solution. On ne fera plus obstacle au progrès. C’est également bon signe pour les entreprises d’ici dont les relations commerciales se sont fragilisées au cours des récentes années.

Les États-Unis est un pays imposant à tous points de vue : sa puissance militaire, son économie et même sa production de gaz à effet de serre en font un acteur incontournable dans nos institutions internationales. Les organismes et groupes mondiaux tels l’OMS, l’OTAN, l’OMC et le G7, qui voient soudainement leur statut reprendre de l’importance, ont tout à gagner de travailler avec un président américain engagé et fiable.

Il n’y a pas de solution immédiate aux problèmes auxquels les entreprises et les gouvernements sont confrontés – du changement climatique à la pandémie mondiale, en passant par les inégalités de revenus – mais les Canadiens peuvent être rassurés : il y aura désormais une présence expérimentée et influente à la table des négociations.

 

 

 

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BEAU TEMPS À L’HORIZON 

Jenessa Crognali, Conseillère principale, Toronto

EN 2018, LE CADRE législatif du Canada a donné aux producteurs de cannabis d’ici un avantage de premier plan. Aujourd’hui cependant, nos plus gros producteurs ont le regard rivé sur les deux côtés de la frontière. Cela n’a rien d’étonnant : des entreprises canadiennes comme Aurora Cannabis et Canopy Growth sont maintenant cotées en bourse aux États-Unis et ont communiqué publiquement leurs stratégies de croissance dans ce pays.

Si les restrictions sur le commerce entre États et les difficultés d’accès aux services financiers ont limité le potentiel du secteur aux États-Unis, les résultats des référendums qui ont accompagné l’élection changent la donne. Quelques jours avant que les Américains ne sachent qui serait leur président, cinq États américains ont voté en faveur de mesures d’assouplissement liées au cannabis. Ainsi, l’Arizona, le Montana, le New Jersey et le Dakota du Sud pourront légaliser le cannabis à usage récréatif. Ce dernier État ainsi que le Mississippi se sont également montré favorables à son usage à des fins médicales.

Cela constitue une bonne nouvelle pour une industrie canadienne aux abois, qui a vu la valeur de ses actions dégringoler au cours des 18 derniers mois. On entrevoit déjà la possibilité qu’un président démocrate émette des politiques en matière de cannabis suffisamment progressistes pour revigorer l’industrie canadienne.  Cela dit, rien n’est encore fait et la prudence commande de modérer les attentes.

« Nous dépénaliserons le cannabis et nous effacerons les casiers de ceux qui ont été pris en infraction avec du cannabis », a déclaré Kamala Harris, la colistière de Biden et maintenant vice-présidente élue, durant la campagne. Cette promesse figure en effet dans la plateforme électorale du Parti démocrate pour 2020 et les leaders démocrates au Congrès soutiennent largement une réforme de la loi sur le cannabis.

M. Biden, autrefois associé à la lutte antidrogue, a soutenu publiquement la dépénalisation de la marijuana et a ouvert la voie à une future légalisation en promettant confier aux États le pouvoir de prendre leurs propres décisions en la matière. L’administration Biden pourrait toutefois trouver un caillou dans sa chaussure si une majorité républicaine est reconduite au Sénat. Les républicains hésiteront à soutenir toute législation pouvant donner une apparence de victoire à leurs adversaires démocrates.

« M. Biden, autrefois associé à la lutte antidrogue, a soutenu publiquement la dépénalisation de la marijuana et a ouvert la voie à une future légalisation en promettant confier aux États le pouvoir de prendre leurs propres décisions en la matière. »

« À défaut d’une solution miracle, une administration Biden offre une lueur d’espoir aux sociétés canadiennes de production de cannabis, impatientes de trouver des partenaires et des débouchés commerciaux aux États-Unis. »

Bien que les entreprises canadiennes du secteur du cannabis soient cotées en bourse aux États-Unis, elles sont présentement contraintes de concentrer leurs activités sur les produits de cannabidiol, à base de chanvre, car le cannabis est toujours frappé d’interdit au niveau fédéral. Advenant un changement législatif, l’industrie canadienne pourrait avoir accès à un nouveau marché relativement inexploité.

Même si la légalisation fédérale n’est pas pour demain, l’industrie pourrait se rallier autour de mesures plus immédiates comme la U.S. SAFE Banking Act – un projet de loi permettant aux institutions financières de servir les entreprises de cannabis autorisées sans crainte de sanctions fédérales – ou comme celles visant à encourager l’accès à la recherche sur la plante.

L’élection américaine entraînera des changements de politiques dans plusieurs secteurs et l’avenir d’une industrie du cannabis transnationale demeure très incertain. À défaut d’une solution miracle, une administration Biden offre une lueur d’espoir aux sociétés canadiennes de production de cannabis, impatientes de trouver des partenaires et des débouchés commerciaux aux États-Unis. Il ne leur reste plus qu’à attendre l’arrivée des beaux jours.

 

 

 

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L’AMÉRIQUE, LA MEILLEURE ALLIÉE

Michael Stock, Conseiller, Toronto

PARMI TOUTES LES extravagances et les incohérences qui caractérisent le trumpisme, l’attitude belliqueuse du président à l‘égard de la Chine est sans doute ce qui aura le plus marqué, et de façon durable, son mandat. Au cours des quatre dernières années, le président a entraîné les deux superpuissances dans une surenchère de fanfaronnades et de représailles économiques. Dans l’esprit de Trump, il fallait mettre fin au déséquilibre systémique persistant de la relation entre les deux pays.

La guerre commerciale livrée par Trump s’est traduite par l’imposition de tarifs douaniers élevés et par une instrumentalisation de la Chine afin de faire du régime chinois le bouc émissaire de tous les maux qui affligent la classe ouvrière et les travailleurs américains. Cette guerre s’est retournée contre Trump lui-même. Le déficit commercial s’est creusé sous son administration et le refroidissement des relations entre les deux pays a porté un dur coup à l’économie américaine alors que celle de la Chine est demeurée florissante.

En réalité, l’attitude de Trump face à la Chine a toujours été une question de posture plutôt que de politiques, et les hausses de tarif ne sont guère qu’une « tape sur les doigts » – qui s’est avérée au final très coûteuse – pour sanctionner ce qui était jugé comme un mauvais comportement. Si beaucoup s’attendent à ce que l’administration Biden se montre moins agressive dans l’utilisation de leviers économiques pour punir le président Xi Jinping et le Parti communiste chinois, il ne faut pas s’attendre à ce que les relations, politiques ou économiques, se rétablissent de sitôt.

En fait, l’une des rares positions sur lesquelles les Américains sont d’accord, en particulier depuis le début de la pandémie de COVID-19, est que l’on ne peut pas faire confiance à la Chine et qu’il faut la freiner. Biden ne ratera pas l’occasion d’assouplir sa politique étrangère, malgré des frictions commerciales prévisibles avec l’Union européenne ou certaines tensions avec Israël, pour unifier la nation plutôt que l’enflammer.

Alors, que peuvent attendre les entreprises canadiennes d’une présidence Biden sur la question chinoise ? Eh bien, contrairement à M. Trump, dont les vues personnelles sur le pays définissent son approche des relations, Biden n’aura pas les coudées franches à la Maison‑Blanche.  Il ne pourra pas maintenir l’attitude conciliante qu’on lui connaît envers la Chine. Biden fera plutôt ce qu’il a toujours fait : tirer parti au maximum de ses relations avec ses alliés, et « ériger des barrières infranchissables » dans nos secteurs communs, notamment dans les domaines du renseignement, de la technologie et du commerce.

« Les Américains ont indiqué clairement qu’ils veulent que leurs efforts commerciaux et diplomatiques profitent à eux-mêmes, et non à leurs alliés. »

Le Canada sera l’une des premières étapes de sa tournée, et les Canadiens devraient constater une meilleure volonté de coordination entre les alliés occidentaux sur des questions telles que les investissements étrangers, le comportement d’entreprises appartenant à l’État et les gros joueurs comme Huawei et TikTok. Alors que notre propre relation avec Pékin en est presque au point de rupture, le premier ministre et son équipe tenteront de mesurer leur réponse.

Il n’est pas dit qu’une amélioration des relations sino-américaines profitera aux entreprises canadiennes. Au contraire, les gains éventuels réalisés par les exportateurs américains dans le cadre d’une relation commerciale rétablie se feront presque assurément aux dépens des producteurs canadiens, notamment dans les secteurs de l’agriculture, des fruits de mer et de l’énergie. Mais dans l’ensemble, attendons-nous à ce que la politique étrangère « l’Amérique d’abord » cède le pas à « l’Amérique, la meilleure alliée ».

Il faut éviter d’être naïf. Les Américains ont indiqué clairement qu’ils veulent que leurs efforts commerciaux et diplomatiques profitent à eux-mêmes, et non à leurs alliés. Mais après quatre années de lutte contre l’emprise de la Chine, le Canada a la chance de retrouver un allié qui souhaite collaborer à nouveau, même si cela se fera à ses propres conditions.

 

 

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DILEMMES SOCIAUX

Hunter Knifton, Conseiller, Toronto

« SI VOUS AVIEZ passé les six derniers mois à regarder Facebook plutôt qu’à lire les sondages, vous seriez probablement moins confus en ce moment », a tweeté Kevin Roose, chroniqueur spécialisé en TI du New York Times, à 3 h10 du matin après l’élection, pour expliquer l’incompréhension  de millions de personnes devant les résultats des élections.

Pendant que les maisons de sondage se précipitaient pour justifier l’écart entre leurs projections et les résultats finaux, une évidence s’imposait : sur le média Facebook, l’histoire de l’élection s’est lue de manière bien différente. Les partis politiques, les entreprises et autres entités qui dépendent de l’opinion publique ont fait preuve d’insouciance en négligeant de s’y intéresser.

« Facebook est la plateforme de médias sociaux dominante depuis des années. Les résultats des élections américaines nous rappellent de façon brutale à quel point nos médias traditionnels et nos sondeurs sont encore bien loin de comprendre le contenu qui y circule. »

Peu importe que certains journalistes, consultants et autres lecteurs avertis aient choisi de supprimer Facebook de leur emploi du temps quotidien,  Facebook est de loin la plateforme de médias sociaux la plus utilisée au Canada, aux États-Unis et dans le monde.  C’est aussi une plateforme où les voix conservatrices parmi les plus provocatrices sévissent, comme l’évangéliste Christian Franklin Graham, le président Donald Trump ou le commentateur en matière de médias Ben Shapiro.

Facebook est un lieu d’échange de grande portée, qui exerce une influence certaine. Les organisations qui se préoccupent de l’opinion publique seraient imprudentes de l’ignorer. La question est la suivante : si les conversations qui circulent sur Facebook épousent plus largement les thèses conservatrices, pourquoi les sondages sont-ils si favorables aux opinions libérales ? Voici deux hypothèses :

  1. Les personnes qui participent aux sondages n’ont pas de préférences aussi marquées que nous le supposons;
  2. Les sondeurs, les analystes politiques et les médias grand public ignorent comment tenir compte des publics qui s’expriment sur Facebook, et qui sont moins disposés à participer à une interview ou à un sondage.

Le comportement qui correspond à la première hypothèse (un répondant à un sondage indique une préférence pour la candidature de Joe Biden, mais vote ensuite pour Trump), est bien connue des sondeurs et des spécialistes des campagnes politiques. Les organisations avisées savent qu’il y a souvent discordance entre la préférence déclarée d’un individu et sa préférence révélée, et utilisent une méthodologie pour déceler la véritable tendance d’un électeur, comme il est commun de le faire dans le cadre de pré-tests publicitaires.

La deuxième hypothèse a des incidences beaucoup plus grandes. Les organisations réalisent que les données sur lesquelles elles se sont toujours appuyées sont non seulement insuffisantes, mais aussi peu fiables. Elles doivent donc revoir leurs méthodes de recherche pour mieux mesurer le pouls du public. Un spécialiste de la prévision qui aurait utilisé un modèle d’analyse des données Facebook aurait réussi à nous offrir un portrait beaucoup plus juste de l’élection de 2020. Les entreprises qui scrutent l’opinion et les comportements des consommateurs doivent garder cela à l’esprit. Cette élection aura donc montré qu’il aurait été nécessaire d’exploiter de nouvelles sources de données pour mieux prévoir l’issue du vote.

Il est à espérer que les médias suivront le mouvement en réfléchissant à des moyens de reconnaître ces publics sous-estimés,  et d’enfin leur donner une voix.  Cela crée des opportunités et des menaces pour les organisations, selon qu’elles soient sont vénérées ou détestées par ces groupes de droite, car ces groupes sont actuellement sous les feux de la rampe et vont probablement alimenter la conversation des médias grand public plus que jamais.

Facebook est la plateforme de médias sociaux dominante depuis des années. Les résultats des élections américaines nous rappellent de façon brutale à quel point nos médias traditionnels et nos sondeurs sont encore bien loin de comprendre le contenu qui y circule. Des deux côtés de la frontière, les quatre prochaines années prendront l’allure d’une course pour rattraper le retard. Il s’agit de savoir si l’on veut faire partie de la conversation, ou en être exclu.

Le champ est libre pour les « tribus » dans le paysage médiatique au Canada

LORSQUE LE BLOGUER américain et dirigeant point-com Seth Godin a écrit « Tribes : We Need You to Lead Us » en 2008, il a rédigé un manifeste destiné à tous les dirigeants souhaitant prendre une place dans le monde numérique. Abordant les thèmes de la philanthropie, du divertissement, de la politique, du gouvernement et des affaires, Tribes expose avec force la valeur du leadership  et le rôle que joue la technologie pour rassembler des personnes partageant les mêmes idées. Observant l’omniprésence des jeunes plateformes comme Facebook, Twitter et Craigslist, l’auteur constatait que les tribus n’étaient plus un phénomène local : Internet avait banni les frontières et ouvrait  de nouvelles perspectives pour les dirigeants et leurs partisans.

En parallèle, Godin notait « qu’il y a maintenant davantage de tribus, plus petites, influentes, horizontales et verticales, et des tribus qui n’auraient jamais pu exister avant vous » 1.  Bien que ce constat demeure d’actualité, l’évolution des technologies de l’information nous commande de s’attarder à nouveau sur la relation entre les plateformes en ligne et les dirigeants, avec, en toile de fond, les mouvements politiques.

Alors que les journaux et les diffuseurs canadiens voient chuter leurs recettes publicitaires et sabrent dans leur personnel, de nouveaux joueurs revendiquent leur place dans le paysage médiatique canadien avec des modèles commerciaux qui dérangent. Si les appels de Godin à l’innovation et à l’esprit d’entreprise ont été entendus, l’émergence de ces nouvelles voix soulève aujourd’hui des questions importantes en matière d’éthique journalistique.

Les médias traditionnels ont réagi à la montée de ces médias indépendants, allant jusqu’à évoquer l’invasion de leur industrie et l’émergence d’un phénomène menaçant la fiabilité de l’information et potentiellement dangereux. S’il est essentiel de préserver la fiabilité et la qualité de l’information, aucun média, aucun diffuseur, ni aucun nouveau média ne peut prétendre détenir la vérité. Pour évaluer au mieux les effets de l’arrivée de ces voix discordantes dans les médias canadiens, nous devons les étudier une à une et, autant que possible, éviter les amalgames.

Certains médias indépendants, comme le Capital Daily à Victoria ou le Halifax Examiner, ont réussi à constituer un lectorat appréciable grâce à des reportages locaux en profondeur et à un journalisme de contenu et d’investigation. Un large éventail de médias de niche ou spécialisés ont conquis des lecteurs, que ce soit The Athletic, qui couvre l’actualité sportive, The Logic, qui présente des reportages portant sur l’économie de l’innovation ou la plateforme Substack, qui permet à des chroniqueurs indépendants de publier et vendre leurs articles. Bien que leur modèle commercial et leur format de présentation s’écartent du journal traditionnel, ils ont généralement des objectifs communs : offrir, sous forme de reportages et de commentaires, des informations fiables et indépendantes qui servent l’intérêt public.

Les règles du jeu changent cependant lorsque l’on se tourne vers les médias d’information plus idéologiques, comme PressProgress et Passage, qui se situent à gauche du spectre politique ou Rebel News et True North, à droite. Ces médias, dits « médias alternatifs », marquant ainsi la distinction entre le journalisme traditionnel et le journalisme engagé. S’ils présentent des contenus différents et ont des normes différentes, ils ont ceci en commun : l’objectif d’offrir un contenu riche à un lectorat ciblé partageant des vues similaires.

Idéologiques ou non, les médias alternatifs ont démontré qu’ils pouvaient produire des reportages marquants. Le Toronto Star, la Presse canadienne et le National Post ont reconnu, plus d’une fois, le sérieux de PressProgress en tant qu’organe d’investigation. Cependant, et contrairement aux médias de masse, les média alternatifs ne visent pas seulement à divertir ou à informer, mais aussi à influencer. On ne prétend pas y être impartial même si le souci de présenter une information juste demeure.

Ces médias « libres » ont fait ce que leurs équivalents traditionnels n’ont pas réussi à faire ; ils ont créé un modèle viable pour présenter des nouvelles et des opinions situées aux extrémités du spectre politique canadien. Sun News Network, une chaîne de télévision conservatrice au ton irrévérencieux lancée en 2011, n’a pas pu survivre sur les ondes, mais aujourd’hui cependant, grâce aux capacités de connexion des médias sociaux, d’éminents idéologues, dont d’anciennes personnalités de Sun News Network, réussissent à faire vivre des modèles d’entreprise de diffusion en ligne.

Le troisième et le plus inquiétant phénomène en lien avec les technologies de l’information dans notre écosystème en ligne est la montée des campagnes de désinformation. Ces dernières constituent un tout autre genre de menace. Les mouvements conspirationnistes, en particulier QAnon, qui misent sur la haine de l’autre, la désinformation et la méfiance à l’égard de personnalités politiques de l’establishment, sont parvenus en peu de temps à augmenter leur auditoire dans les forums de discussion en ligne. Auparavant, les mouvements de cette nature auraient été perçus comme trop obscurs ou déconnectés de la réalité. Aujourd’hui, les forums comme 4chan et Reddit leur offrent la possibilité de créer des communautés. Cette tendance a des conséquences.

En juillet dernier, Corey Hurren, un réserviste de l’armée et un conspirateur associé à QAnon, a été arrêté pour avoir percuté les portes de Rideau Hall à Ottawa avec une camionnette, dans l’intention présumée d’assassiner le Premier ministre Trudeau.2 Au sud de la frontière, au début du mois, le FBI a mis au jour un complot conspirationniste visant à enlever la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer et à la traduire en justice dans le cadre d’un effort plus large pour « déclencher une guerre civile ».3 Un de ces jours, l’issue sera tragique.

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« Les hérétiques sont les nouveaux leaders, dit-il, ils défient le statu quo, ils s’adressent à leurs tribus et créent des mouvements »

– Seth Godin

Facebook a réagi en s’engageant à supprimer toutes les pages, groupes et comptes Instagram associés au mouvement conspirationniste QAnon. Bien que nécessaire, ce geste apparaît comme une micro-solution à un macro-problème. Tant que les contenus seront classés en fonction de leur capacité à générer de fortes réactions (et des « clics » qui en résultent), les contenus haineux et conspirationnistes seront avantagés. Si Godin avait prévu le rôle rassembleur de l’Internet, il n’avait pas prévu un de ces tristes aboutissements : la marchandisation de la rage et de la paranoïa.

Que conclure de tout cela ? Dans notre monde en évolution rapide, les politiciens, les lecteurs et les entreprises du Canada qui sont en quête de vérité ou qui veulent se faire entendre font face à de nouveaux défis.

Pour commencer, on constate que la lecture en ligne a pris une place prépondérante. Bien que nos principaux médias d’information ne soient pas dépositaires de la vérité, ils présentent généralement des faits et opinions qui s’insèrent dans les limites admises de la conversation politique. Il importe néanmoins de toujours se demander pourquoi tel article est publié, quelles sont les motivations de son éditeur et quelles sont les sources auxquelles on fait référence.

Ces questions ne sont pas nouvelles et concernent tous les médias. Il est évident que les lecteurs ne sont pas assez nombreux à se les poser. En août dernier, Kerry-Lynne Findlay, députée de South-Surrey White Rock, a partagé un tweet de QAnon qui présentait une entrevue de George Soros en 2009 avec la vice-première ministre Chrystia Freeland, alors journaliste au Financial Times. Le tweet mentionnait qu’une telle proximité entre Mme Freeland et M. Soros « devrait alarmer tous les Canadiens », une remarque, pour ceux qui connaissent QAnon,  aux relents antisémites.

Findlay a présenté ses excuses, déclarant qu’elle n’a appris que tardivement que la source épousait des théories haineuses et conspirationnistes.4 Il serait facile de balayer ces excuses du revers de la main, mais elles apparaissent sincères. Une enquête récente du Pew Research Centre a montré que seul un quart des adultes était en mesure de faire la différence entre un exposé de faits et une opinion.5 De tous les défis que pose l’arrivée de ces médias « de l’ombre » et l’Internet clandestin, le plus préoccupant est celui qui consiste à distinguer les nouvelles, des opinions et de la désinformation.

Le deuxième défi consiste à comprendre l’influence des médias numériques et de voir dans quelle mesure ils reflètent vraiment l’opinion de la population. Les voix les plus bruyantes ne sont pas nécessairement les mieux accueillies ; à cet égard, les médias sociaux biaisent nos perceptions.

Godin écrit que les hérétiques sont les nouveaux leaders. « Ce sont eux qui remettent en cause l’ordre établi, qui sont au-devant de leurs tribus, qui créent des mouvements», dit-il. 6  Il faut savoir qu’une organisation en ligne, qu’il s’agisse d’un média indépendant, d’une entreprise technologique ou d’une formation musicale, n’a pas besoin d’être aussi attrayante qu’un parti en campagne électorale. Les groupes alarmistes et coléreux ont beau récolter des clics, ils ne reflètent pas nécessairement l’opinion publique.

Faire la nuance entre la viralité sur le net et la pertinence est un nouveau défi pour les dirigeants. Dans une finale embarrassante et après une prestation de courte durée à la barre du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer a sermonné les électeurs canadiens, déclarant que « le parti pris des médias grand public dans ce pays n’a jamais été aussi évident ». Sur ce, il a invité les téléspectateurs à « consulter des sources d’information intelligentes, indépendantes et impartiales comme le Post Millennial ou True North7 »…

Les Canadiens modérés ont peut-être soupiré devant un Scheer particulièrement aigri ce soir-là, mais il n’en reste pas moins que les médias alternatifs posent un vrai dilemme à la classe politique. Pas assez petits pour être ignorés, mais pas assez grands pour justifier qu’on s’y soumette, ils exercent une énorme influence sur de petits, mais fort bruyants segments de la population. Le défi croissant des dirigeants consistera à mobiliser ces « tribus » de partisans enthousiastes sans devenir leur otage ni en surestimer l’influence.

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« De tous les défis que pose l’arrivée des médias de l’ombre et de l’Internet clandestin, la ligne fine qui sépare les nouvelles, des opinions et de la désinformation est sans doute le plus préoccupant.»

Godin a affirmé que « les organisations qui renversent le statu quo sont gagnantes. Quelle que soit la forme initiale de ce statu quo, le changer est une occasion de se distinguer »8. Nous avons effectivement vu la situation dans le paysage médiatique canadien s’inverser. Des voix de la gauche ou de la droite ainsi que d’autres, carrément délirantes, condamnées depuis des décennies à arpenter les rues avec un mégaphone, émergent aujourd’hui, soutenues par des communautés d’adeptes.

Il serait toutefois erroné de croire que les organisations ayant constitué une communauté d’abonnés et de partisans auront une influence durable sur l’opinion publique. Si l’évolution technologique et les attentes des citoyens ont permis aux médias alternatifs d’émerger, une meilleure éducation et des politiques plus interventionnistes en matière de médias sociaux vont à nouveau modifier les règles du jeu. La stabilité est une illusion, cela vaut aussi pour les perturbateurs. « Depuis toujours, nous voyons le monde comme immuable, nous supposons que dans cinq ans, Google sera toujours numéro un, que nous taperons sur nos claviers ou que volerons en avion, disait Godin. Mais nous avons tort. »9

Quel que soit le nombre de dons, d’abonnements ou de clics haineux générés par un site Internet, c’est la qualité de son contenu et la confiance qu’il inspire à ses lecteurs qui détermineront si son influence sera durable ou non. Sa viabilité à long terme dépendra de sa capacité à apporter quelque chose de plus,  en portant la voix de sa petite communauté de fidèles avec pertinence, plutôt qu’en tentant de renforcer son influence en discourant en vase clos.

Dans le paysage médiatique canadien, les voix discordantes doivent faire plus que simplement générer des clics. Car si ces tribus peuvent survivre en s’adressant uniquement à leurs partisans, elles doivent aussi réaliser qu’elles ne pourront changer les choses sans d’abord créer des ponts.

[1] Seth Godin, Tribes: We Need You to Lead Us (New York: Penguin Group, 2008), 4[2] https://www.aljazeera.com/news/2020/7/7/canadian-man-faces-weapons-charges-in-attack-on-pm-trudeaus-home[3] https://www.nytimes.com/2020/10/08/opinion/facebook-gretchen-whitmer.html[4] https://twitter.com/KerryLynneFindl/status/1299789957205078016[5] https://www.nationalreview.com/news/study-most-americans-cannot-tell-fact-from-opinion/[6] Seth Godin, Tribes: We Need You to Lead Us (New York: Penguin Group, 2008), 11[7] https://twitter.com/AndrewLawton/status/1297701439465234432[8] Seth Godin, Tribes: We Need You to Lead Us (New York: Penguin Group, 2008), 35[9] Seth Godin, Tribes: We Need You to Lead Us (New York: Penguin Group, 2008), 16

La Mission De L’entreprise

LA CRISE DE LA COVID-19 a été très révélatrice de la nature humaine. Elle a d’abord montré à quel point les gens peuvent être solidaires. Mais elle a aussi révélé les inégalités systémiques qui sont au cœur de la structure économique et de l’organisation sociale. Alors que le monde attend des gouvernements qu’ils mènent la lutte à la pandémie, on demande aux entreprises de contribuer au combat contre ces inégalités qui sont devenues si évidentes. Ceci afin de créer une « nouvelle normalité ».

Il n’est pas étonnant que le public s’attende à ce que les entreprises participent à la réforme de la société. Depuis quelque temps déjà, on discute de la manière de moderniser le capitalisme, notamment en modifiant la mission des sociétés. On assiste actuellement à un mouvement social qui ne perçoit pas le rôle des entreprises de la même manière que les générations précédentes : plutôt que de simplement mettre l’accent sur les bénéfices ou sur la valeur pour les actionnaires, on exige aujourd’hui des entreprises qu’elles apportent une contribution positive à l’ensemble des parties prenantes.

Pour que la mission d’entreprise se déploie réellement de cette manière, l’entreprise doit s’efforcer de relever les défis auxquels font face les parties prenantes et les communautés dans lesquelles elle exerce ses activités. En effet, la volonté de repenser la mission de l’entreprise est alimentée par le désir du public de voir les entreprises faire leur part pour relever les grands défis mondiaux de l’heure comme les changements climatiques, l’inégalité des richesses, le racisme systémique ou la pandémie de COVID-19.

Il s’agit là d’un tout nouveau niveau de responsabilité imposé aux entreprises. L’époque où celles-ci n’avaient qu’à se soucier des paramètres financiers, tels que les marges, la productivité ou les bénéfices, est révolue. Aujourd’hui, elles doivent évaluer – et corriger le tir au besoin – les répercussions de ses activités sur un ensemble de sujets socialement sensibles comme l’environnement, le racisme, la pauvreté, l’égalité des sexes, etc.

Ces responsabilités accrues s’accompagnent d’une attente d’action concrète et authentique de la part des entreprises pour qu’elles s’attaquent à ces questions importantes en leur sein même. En plus de devoir surveiller et améliorer les retombées de leurs activités à l’interne et à l’externe, les dirigeants sont désormais tenus de s’exprimer publiquement sur ces questions. On part du principe que lorsqu’un individu, une organisation ou un gouvernement ne répond pas aux attentes du public concernant un enjeu social particulier, les entreprises doivent se retirer ou rompre leurs liens avec la partie« fautive », ou encore exercer sur cette dernière une certaine pression pour influencer et encourager de meilleurs comportements ou résultats.

Les trois niveaux de responsabilité qui échoient maintenant aux entreprises sont liés entre eux. Les entreprises doivent utiliser les moyens à leur disposition pour influencer favorablement les communautés, le monde et la société; pour modifier leurs pratiques internes, afin de ne pas entraver ou pour faire progresser des réformes sociales importantes et nécessaires; et enfin pour augmenter leur capacité d’influence. Tout cela en même temps. Et les événements des dernières semaines nous ont clairement démontré qu’une organisation qui s’exprime en faveur d’une cause sociale importante sans avoir pris soin au préalable d’adopter des mesures internes pour faire avancer cette même cause commet une grave erreur de relations publiques…

Les chefs d’entreprise auront sans aucun doute besoin d’aide pour s’acquitter de leurs nouvelles responsabilités. Ils devront s’assurer que leur organisation ait des orientations claires et réponde aux attentes du milieu. Le nouveau Centre canadien pour la mission de l’entreprise aidera les entreprises et les organisations canadiennes à redéfinir, renforcer et promouvoir leur mission et leurs valeurs dans le cadre de leurs activités, à revoir les retombées de leurs activités sur l’ensemble des parties prenantes et à encourager les autres intervenants à faire de même.

Il ne sera pas facile pour les entreprises de répondre aux attentes changeantes du public et de la société civile. Néanmoins, le mouvement en cours montre clairement que des changements dans le régime capitaliste tel qu’on le connaît se profilent à l’horizon. Avec le changement vient l’incertitude. Ce qui est certain, cependant, c’est que la mission de l’entreprise est plus importante que jamais. Espérons que les effets de la pandémie COVID-19 inciteront les chefs d’entreprise à adopter une nouvelle approche en matière de gouvernance, ce qui constituerait un premier pas important vers la modernisation du capitalisme et aiderait l’humanité à relever les défis d’aujourd’hui.

Voilà un objectif qui vaut la peine d’être poursuivi.

Plus ça change

While the run-up to the Ontario election has generated drama and headlines, Quebec has been quietly preparing for a potential generational shift in its political landscape on October 1.

The longevity of the current Quebec Liberal government, which has been in power almost non-stop since 2003, is an important factor in the upcoming election. Years of controversies  surrounding political fundraising, ongoing police investigations and trials have tarnished the Liberal brand. And although the provincial economy is going strong, recent public opinion polling suggests a “time for a change” mindset among voters.

So far, the appetite for change favours a majority win for the Coalition Avenir Québec (CAQ). Early polls put the CAQ at 36 per cent support among voters, six percentage points ahead of the Liberals. If the CAQ wins or even comes in a strong second to the Liberals, future political battles will be fought within a new paradigm, signalling the possible end of the Parti Québécois (PQ).

Since the 1970 election, and the slow death of the Union Nationale party, Quebec has been alternating between the Liberals and the PQ. Underlying this two-party system was the “Quebec national question »—federalism or separation.

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As the debate over Quebec’s role in Canada has subsided, there has been a commensurate decline in the PQ’s support. In fact, in every election since 1994, except for 2008, there has been a drop in the PQ’s share of the popular vote (see table 1).  From an all-time high in 1994 of 45 per cent, the PQ fell to 25 per cent in the 2014 provincial election.

The few polls published in 2017 and so far in 2018 show continued deterioration of the PQ’s base. Earlier this year, results showed the PQ trailing with just under 20 per cent of the popular vote. At that level, electing the 12 members of the Quebec National Assembly required for official party status would be dicey, and the party’s, air time in the legislature, budget for staff and general relevance would only further diminish.

Of course, with a good campaign, the PQ could survive and live to fight another day. But if it  can’t run an effective campaign, October 2 might be the first day of a new political reality in Quebec.

Le Québec, à l’assaut de la nouvelle économie

Pendant plusieurs années, le Québec a été à la traîne de l’économie canadienne, mais le voilà de retour à l’avant-scène

LORSQU’IL S’AGIT d’évoquer des fleurons économiques du Québec, Bombardier et Hydro-Québec sont deux entités qui viennent rapidement à l’esprit. Pourtant, au cours des dernières années, le Québec a réussi à se positionner comme un leader mondial de l’intelligence artificielle. En effet, selon Montréal International, Montréal rassemble le plus important groupe de chercheurs en apprentissage profond dans le monde, sans compter les quelque 9 000 étudiants inscrits à un programme universitaire avec spécialisation en intelligence artificielle et en traitement de données. Cet environnement unique donne déjà des fruits puisqu’en novembre dernier, Google annonçait l’octroi d’une subvention de 4,5 millions de dollars dédiée à la recherche universitaire et à la création d’une division spécialisée en apprentissage profond. Tout récemment, dans son édition du mois d’août dernier, le magazine Fortune présentait Montréal comme l’un des endroits les plus réputés au monde dans le secteur de l’intelligence artificielle. D’ailleurs, en novembre 2016 dans une entrevue accordée à La Presse, Yoshua Bengio, professeur à l’Université de Montréal et sommité internationale sur le sujet, mentionnait que « l’apprentissage profond est en train de révolutionner plusieurs domaines. Cela a commencé par la reconnaissance de la parole, puis la vision informatique et maintenant tout ce qui touche le langage… »

Cela explique sûrement l’empressement des deux paliers de gouvernements de soutenir financièrement ce domaine de recherche. Il suffit de constater la somme allouée par le gouvernement du Québec –100 millions de dollars étalés sur 5 ans pour la création d’une grappe industrielle en intelligence artificielle — pour comprendre l’importance qu’accorde le Québec à cette industrie. De plus, à l’aube du 150e anniversaire du Canada, le premier ministre Trudeau indiquait que l’intelligence artificielle allait « changer le monde », et se répandre à « presque toutes les industries ». Son gouvernement prévoit d’ailleurs investir 125 millions de dollars au cours des cinq prochaines années afin de soutenir la recherche dans les trois pôles suivants : Montréal, Toronto et Edmonton.

Le Québec a déjà joué un rôle de précurseur au Canada avec le développement de l’hydroélectricité ainsi que par la création d’une grappe industrielle dédiée à l’aérospatiale. Pierre Boivin, président et chef de la direction de Claridge et coprésident du comité d’orientation pour une grappe industrielle en intelligence artificielle, mentionnait en août dernier à La Presse qu’en misant sur l’aérospatiale dans les années 1980, « on a créé une industrie de toutes pièces » et qu’il ne « souvient pas de la dernière fois que Montréal avait connu une telle notoriété et montré sa capacité à être un gros joueur dans un secteur d’avenir ». On pourrait ajouter à ces réussites celle de l’industrie des véhicules électriques qui aura droit à sa propre grappe industrielle et celle du jeu vidéo qui, grâce à l’arrivée d’Ubisoft en 1997 à Montréal, a bouleversé l’industrie au Canada.

Plus que jamais, le Québec a la possibilité de s’imposer sur la scène internationale comme un joueur de la nouvelle économie du savoir. Nous entrons dans une nouvelle ère et en dépit des appréhensions légitimes touchant l’emploi dans les secteurs traditionnels, l’entrepreneuriat et le savoir-faire québécois ont le vent dans les voiles. À ceux qui, au cours des dernières années, s’inquiétaient de la vitalité du Québec, il ne fait aujourd’hui aucun doute qu’il est de retour et s’affiche comme l’un des chefs de file économique au pays.