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À seulement deux semaines du but, Trudeau peut-il renverser l’élan des conservateurs?

Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post

Dans deux semaines, le Canada aura un nouveau gouvernement. Jusqu’à la semaine dernière, ce gouvernement promettait de ressembler beaucoup à l’ancien: soit une minorité libérale, ou peut-être une majorité, mais libérale tout de même. Puis, quelque chose de curieux s’est produit. Les libéraux ont commis une série de faux pas, de la manipulation d’une vidéo à la défense d’un candidat accusé d’inconduite sexuelle. Contrairement aux autres partis, ils ne semblaient pas pressés de présenter de plateforme, jusqu’à ce que le chef, Justin Trudeau, en fasse enfin le dévoilement mercredi dernier. Entre-temps, deux débats des chefs ont eu lieu en français; et dans les deux cas, les chefs conservateur Erin O’Toole et néo-démocrate Jagmeet Singh s’en sont très bien sortis, et les électeurs en ont pris bonne note. Et puis soudainement, une véritable course a débuté.

Si le vote avait lieu aujourd’hui, l’agrégateur de sondages 338.com place les conservateurs à 34,6%, les libéraux à 31,4% et le NPD à 19,6%. Lorsqu’on tient compte de la marge d’erreur, on obtient une égalité entre les deux meneurs. Les bizarreries de la répartition des voix signifient également que malgré leur avance, les conservateurs pourraient ne pas être en mesure d’obtenir suffisamment de sièges pour former le gouvernement. Là encore, les choses pourraient changer: le dernier sondage d’Ipsos montre qu’une scission du vote de centre-gauche pourrait permettre aux conservateurs de se placer «au milieu» comme ils l’ont fait sous Stephen Harper en 2011.

Mais le plus important maintenant n’est pas le moment, c’est l’élan. Depuis 10 jours, les conservateurs ont vu leur popularité grimper, tandis que les libéraux ont vu la leur glisser. Si cette tendance se maintient jusqu’au jour des élections, cela pourrait pousser les conservateurs en tête de peloton. Et s’ils n’obtiennent pas les 170 sièges nécessaires pour une majorité, ils auront alors une solide position minoritaire.

Pourtant, il y a des nuages ​​à l’horizon d’O’Toole. Militant accompli, Trudeau ne tombera pas sans se battre, et il y a encore beaucoup de combats à mener. Le tiercé commun des armes à feu, des germes et de l’acier (pour emprunter du best-seller de 1997 de l’auteur Jared Diamond) pourrait menacer d’inverser la tendance conservatrice.

Le week-end dernier, le chef libéral a accusé O’Toole de vouloir légaliser les fusils d’assaut en échange du soutien du «lobby des armes à feu». En réponse, non seulement O’Toole a répété sa position selon laquelle il maintiendrait l’interdiction actuelle des libéraux sur les armes d’assaut, mais le Parti conservateur a pris l’initiative – plutôt rare – de modifier sa plateforme pour qu’elle corresponde à ses propos, ajoutant une note de bas de page qui se lit comme suit: «Toutes les armes à feu actuellement interdites le resteront». Reste à voir maintenant si les électeurs croiront au renversement – ​​ou si ce dernier ne se retournera pas contre le parti en mettant en colère les partisans de la politique initiale.

Puis, il y a les germes. Avec la quatrième vague de COVID qui prend de l’ampleur et l’annulation des chirurgies électives dans certains hôpitaux, la vaccination reste un problème brûlant d’actualité. Attendez-vous à ce que les libéraux continuent de le mettre de l’avant. O’Toole refuse d’exiger que ses candidats soient vaccinés, malgré le fait qu’il établit à 90% un taux de vaccination pour le Canada. Et l’un de ses députés, David Yurdiga, a récemment déclaré qu’exiger des fonctionnaires fédéraux et des employés des industries sous réglementation fédérale qu’ils se fassent vacciner est une idée «tyrannique». La dernière chose dont O’Toole a besoin, c’est d’être mis dans la même catégorie que les anti-vaccins et les anti-gouvernements, dont les manifestations lors des événements libéraux deviennent de plus en plus laides de jour en jour.

Enfin, il y a l’acier. Ou plus précisément, le renouveau économique qui le produirait. Contrairement à la plateforme libérale, la plateforme des conservateurs n’est pas chiffrée, mais a récemment été estimée à 100 milliards de dollars sur 10 ans. Comment un gouvernement conservateur équilibrerait les livres au cours de la même période sans coupes est discutable et constituera une ligne d’attaque sûre pour Trudeau lors des prochains débats en français et en anglais. Encore une fois, le problème en est un de confiance: les électeurs peuvent-ils vraiment faire confiance à O’Toole pour donner suite à une position qui va à l’encontre de la pensée conservatrice traditionnelle?

Pour inverser l’élan des conservateurs, Trudeau tentera de convaincre les électeurs qu’O’Toole est un loup de droite déguisé en centriste. Mais venant d’un premier ministre qui ne peut toujours pas expliquer pourquoi il a plongé le pays dans une élection, à part vouloir gagner un gouvernement majoritaire, ce discours de l’«agenda caché» sonne plutôt creux. Et avec seulement deux semaines à faire, plutôt désespéré aussi.

Erin O’Toole avait l’air premier ministre lors du premier débat des chefs

Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post

Et le gagnant est… le prochain débat. Le «Face-à-face», diffusé jeudi soir par TVA, était notre première occasion de voir les chefs de parti en venir aux coups, et alors qu’ils ont décroché quelques bons coups, le KO proverbial s’est avéré hors de portée. Ce que l’échange a permis cependant, c’est de mettre la table pour la prochaine rencontre. Des questions telles que les soins de santé, les changements climatiques, les relations entre Québec et Ottawa, et la raison pour laquelle ces élections ont lieu, sont toutes susceptibles de refaire surface lors des débats français et anglais du consortium des médias de la semaine prochaine.

Ce dernier point s’avérera difficile pour le chef libéral, Justin Trudeau. Au cours des trente premières minutes de la confrontation de TVA, non seulement il n’a pas réussi à expliquer de manière convaincante pourquoi il avait déclenché des élections deux ans plus tôt, mais il est également paru comme sur la défensive et ébranlé. En revanche, les trois chefs de l’opposition semblaient sereins pendant que Trudeau se débattait. Lors de la conférence de presse qui a suivi le débat, Trudeau a tenté de préciser que l’élection était nécessaire «pour trouver une issue à la pandémie» et a insisté sur l’importance des vaccins, mais le mal était fait.

Trudeau a également trébuché lorsque le chef conservateur, Erin O’Toole, lui a demandé s’il regrettait d’avoir accordé une augmentation de salaire au chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, après que des allégations de harcèlement sexuel contre Vance eurent été portées à la connaissance du bureau du premier ministre. Trudeau a déclaré que «nous avons suivi la procédure», ce à quoi O’Toole a rétorqué que «nous avions besoin de leadership… vous étiez en charge». Bien qu’il ne s’agisse pas d’un coup fatal, cela rappela le tristement le célèbre échange «Vous aviez une option, monsieur!», entre le chef conservateur Brian Mulroney et le premier ministre libéral John Turner en 1984, lorsque Turner a déclaré qu’il n’avait d’autre choix que de donner suite à une série de controversées nominations politiques recommandées par son prédécesseur, Pierre Elliott Trudeau.

Pour sa part, O’Toole a réussi à relever ses défis les plus importants: il avait l’air premier ministre, parlait très bien français et gardait son sang-froid. Il a également vivement fait appel au vote nationaliste doux, vantant son «contrat avec les Québécois» (quoique trop fréquemment) et déclarant que le Québec a besoin d’un «partenaire, pas d’un papa». À ce sujet, cependant, il a été repoussé par le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, qui lui a demandé s’il serait en mesure de répéter ces mêmes mots au reste du Canada, un sujet qui pourrait hanter O’Toole lors du débat anglais.

Trudeau a également fait faire des steppettes au chef conservateur sur les questions des armes à feu et des changements climatiques, mais a obtenu son plus gros coup lors d’un échange sur les soins de santé, lorsqu’il a demandé à plusieurs reprises à O’Toole s’il était en faveur d’un plus grand accès aux soins de santé privés. O’Toole a refusé de répondre et a plutôt répété qu’il appuyait le système universel du Canada et qu’il augmenterait les transferts provinciaux sans aucune condition. Cela ouvre la porte à de nouvelles attaques libérales sur la question et pénalise une partie des «avancées» que les conservateurs ont faites avec la controverse des «médias manipulés» lors des déclarations précédentes d’O’Toole sur le choix en matière de soins de santé.

Quant à Blanchet et Singh, ils étaient tous les deux forts, mais décevants. Blanchet a martelé sa ligne «Ottawa-ne-sais-pas-tout», a coincé O’Toole pour récupérer l’engagement de 6 milliards de dollars de Trudeau en matière de garderie et a réprimandé Trudeau pour avoir préconisé les vaccins et la distanciation sociale, alors qu’il multipliait les selfies au cours des premières semaines de la campagne. Mais il a également été accusé de faire preuve d’hypocrisie pour son appui à un projet de tunnel controversé auquel s’opposent le Parti québécois et des groupes environnementaux. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a fait preuve de charme et de sincérité, même si son français était légèrement plus faible que celui de ses rivaux. Il a sorti de bonnes lignes comme «les profits ont tué nos aînés» qui vont sans doute plaire à ce qu’il reste d’appuis pour le NPD au Québec, mais qui n’aideront pas à accroître son nombre de partisans là-bas.

Dans l’ensemble, il était rafraîchissant de voir un débat en français où tous les dirigeants étaient en fait capables de comprendre à la fois leurs adversaires et les questions, et de répondre avec plus que des phrases toutes faites et des lignes mémorisées. Tout le Canada n’a peut-être pas regardé le débat d’hier soir, mais comme en 2019, son impact se fera sentir pendant les semaines qu’il reste de la campagne, alors que les libéraux tentent d’inverser la tendance et que les conservateurs sont aux prises avec leur nouvelle popularité – et la cible du meneur de tête dans le dos.

ELXN44: Prêts pour les 100 derniers mètres?

C’est la rentrée, l’attention des gens est enfin tournée vers les élections qui auront lieu dans 3 semaines et nous sommes à la veille du premier débat des chefs dans la langue de Molière. La course va donc s’accélerer maintenant très rapidement. Alors que les libéraux ont connus un début difficile, le dévoilement de leur plateforme électorale et une hypothétique bonne performance de leur chef au débat va-t-elle enfin faire la différence? David Millian, hôte du podcast le Brief prend les paris avec Philippe Gervais et Brian Gallant. Bonne écoute!