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Pourquoi la montée de Maxime Bernier pourrait assurer la réélection de Trudeau

Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post

Il ne reste à peine que quelques jours, la 44e élection s’achève. Beaucoup rejettent toujours la présente campagne comme rien de plus qu’une tentative de prise de pouvoir majoritaire par Justin Trudeau. Dans la quatrième vague d’une pandémie, avec un Parlement adoptant à peu près tout ce qui lui passait sous le nez, Trudeau a décidé de déclencher des élections, non pas parce que son gouvernement avait atteint sa date de péremption, mais parce que les sondages étaient en sa faveur. Cette vérité amère l’a hanté tout au long de la campagne et, par conséquent, son pari semble désormais voué à l’échec.

Plus que cela, cependant, l’ego-trip de Trudeau pourrait avoir des conséquences à long terme. Le chef libéral a non seulement déclenché des élections au milieu d’une pandémie, mais a depuis exploité ses principales failles – le sentiment antigouvernemental et anti-vaccination – comme autant de sujets polarisants. Cela a alimenté une explosion de colère pendant la campagne électorale, comme les Canadiens n’en ont pas vu depuis une génération. Il faut remonter aux élections de 1988 sur le libre-échange, lorsque les conservateurs ont été accusés d’avoir vendu notre pays aux Américains, pour assister à quelque chose de comparable. Mais cette fureur s’est atténuée dans les années qui ont suivi, en partie parce que le Parti libéral a également endossé les principes du libre-échange lorsque ses avantages sont devenus évidents.

En revanche, la colère entourant le vote d’aujourd’hui ne s’estompera pas aussi rapidement, car elle a un endroit différent pour se loger: le Parti populaire du Canada. Ce parti doit son existence au résultat de la course à la direction des conservateurs en 2016, au cours de laquelle Andrew Scheer a battu le favori Maxime Bernier d’un demi-point de pourcentage. N’étant pas du genre à jouer le bon deuxième, le mécontent Bernier a fondé son propre parti, à la tête duquel il pourrait continuer à dénoncer l’État obèse, l’immigration de masse et les niveaux de taxation trop élevés. Et cet autre ego-trip menace maintenant de bouleverser les élections de 2021.

Grâce à une tempête parfaite de sentiments anti-gouvernements et anti-vaccinations, Bernier a porté son projet jusqu’à ce qu’il atteigne entre 6 et 7% dans les sondages, éclipsant le Parti vert pour la quatrième place. Bien que le PPC ne verra sans doute pas beaucoup de députés se faire élire, en raison des caprices de notre système uninominal majoritaire à un tour, sa montée pourrait contrecarrer l’espoir des conservateurs de former un gouvernement minoritaire. Des données tirées de la boussole électorale de la CBC suggèrent que 59 % des électeurs qui ont l’intention de voter pour le PPC à cette élection-ci ont voté pour les conservateurs en 2019. En retranchant les votes des conservateurs dans les circonscriptions où les petites marges comptent, le PPC pourrait aider à élire des libéraux et à renvoyer Justin Trudeau au pouvoir.

Ce qui nous amène au troisième ego-trip dans ce triste tiercé. Il appartient à une personne qui, jusqu’à la semaine dernière, était probablement inconnue de la plupart des Canadiens – Shachi Kurl, vice-présidente de la firme de recherche Angus Reid. Kurl a été chargée de modérer le débat anglais des chefs, mais a plutôt livré une performance que l’on ne pourrait qualifiée d’exercice de «regardez comme je suis bien plus intelligente que ces imbéciles». Ironiquement, sa décision a stimulé la question même qu’elle cherchait à attaquer: la discrimination contre les minorités religieuses au Québec.

Dans le premier segment de cet exercice, Kurl a lancé une question hyper chargée au chef du Bloc, Yves François Blanchet, dans laquelle elle a affirmé qu’il avait nié que le Québec avait un problème de racisme (ce qui était faux, car il avait publiquement reconnu ce problème) et a critiqué les projets de loi 21 et 96 comme étant des «lois discriminatoires» (ce qui préjugeaient de l’issue de la question, au lieu d’inviter à un débat sur le sujet).

Qu’on introduise l’indignation au Québec, où toute la classe politique, y compris le premier ministre, a fustigé Kurl pour sa question et le Canada anglais, qu’elle représentait de facto, pour avoir décrit les Québécois comme des racistes. Qu’on introduise également un important basculement du nombre d’électeurs vers le Bloc, au détriment des conservateurs, et une prédiction selon laquelle le Bloc remportera maintenant dix sièges de plus au Québec.

Ainsi, à une époque de pandémie, où les Canadiens ont le plus besoin de leaders qui font passer l’intérêt public avant leurs gains personnels, l’orgueil malheureusement domine. Et peut-être pour les années à venir, si le PPC réussit à entrer au Parlement et que la force du Bloc se traduit par un soutien au Parti québécois dans la Belle Province. Le plus grand perdant ici n’est pas seulement les conservateurs, mais l’unité nationale et le dialogue civilisé.

Legault essaie de jouer le rôle de «faiseur de rois» en soutenant O’Toole – sa liste de demandes ne sera pas loin derrière

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«Dangereux». Voilà un mot qui n’est pas souvent utilisé dans le discours politique, à moins qu’il ne s’agisse de quelque chose de vraiment grave: libertés fondamentales, droits de l’homme ou situations de vie ou de mort. Pourtant, c’est le mot que le premier ministre du Québec, François Legault, a choisi lorsqu’il a commenté les élections fédérales en cours – et il l’a utilisé pour décrire trois des partis en lice.

«Je trouve très préoccupant que trois partis, les libéraux, le NPD et les verts, non seulement ne soient pas ouverts à donner plus d’autonomie au Québec, mais veuillent centraliser et s’approprier des pouvoirs qui sont clairement des compétences provinciales», a déclaré Legault jeudi. «Je suis nationaliste, je veux que le Québec soit plus autonomiste et ait plus de pouvoir. Il y a trois partis qui veulent nous donner moins d’autonomie. Et je trouve ça dangereux.»

Cela ne laissait que deux prétendants acceptables sur le terrain: les conservateurs et le Bloc québécois. Lors de sorties précédentes, Legault avait laissé entendre que les deux partis représentaient un choix acceptable pour le Québec, notamment lorsqu’il s’en est pris au NPD et aux libéraux pour leurs politiques de santé qui ne conduiraient qu’à «plus de centralisation, plus de bureaucratie».

Mais cette fois, Legault est allé plus loin et a pratiquement appuyé les conservateurs. «Le Parti conservateur a été clair: il veut augmenter les transferts en santé sans conditions, il veut transférer les pouvoirs en matière d’immigration, et M. O’Toole s’est engagé à ne pas financer l’opposition au projet de loi 21», a déclaré Legault. «Pour la nation québécoise, l’approche de M. O’Toole est la bonne.»

Pourquoi dire ceci, et pourquoi maintenant, et quelle différence cela pourrait-il faire pour la course?

«Ceci» est la façon dont Legault affirme sa position de premier ministre le plus populaire au pays – et l’un des plus populaires au Québec de mémoire récente, allant chercher près de 50% d‘appui dans les sondages. Legault semble apprécier son rôle de «faiseur de rois» surtout si cela lui permet ensuite de s’attribuer le mérite d’avoir façonné un gouvernement favorable au Québec. Jusqu’au début des élections, Legault était tout sourire avec Justin Trudeau, particulièrement lorsque ce dernier lui a fait un chèque de 6 milliards de dollars pour financer 27 000 places supplémentaires en garderie. Mais tout comme le Seigneur donne, il reprend — et c’est ce que Legault a fait avec son annonce.

Le «maintenant» peut s’expliquer par la piètre performance du chef conservateur, Erin O’Toole, lors du débat des chefs français du consortium des médias, mercredi soir. Fini le O’Toole confiant et décontracté du débat de la semaine dernière à TVA; au lieu de cela, les téléspectateurs ont eu droit à une performance rigide et sans énergie qui a laissé toute la place à ses quatre rivaux. Parmi ceux-ci, le chef libéral Justin Trudeau a occupé le plus d’espace, frappant à gauche et à droite alors qu’il tentait de gagner des points de popularité et de consolider ses références québécoises. Trudeau a fourni certains des rares feux d’artifice de la soirée lorsqu’il a crié au chef du Bloc, Yves-François Blanchet: «Je suis un fier Québécois. J’ai toujours été un fier Québécois… Vous n’avez pas l’unanimité (sic) sur le Québec!»

Les commentateurs québécois n’ont pas été impressionnés par O’Toole, y compris la chroniqueuse Chantal Hebert, qui a plaisanté en disant que «(O’Toole) a raté la cible lors de cette dernière grande occasion d’établir un lien plus fort avec les électeurs québécois et de les impressionner». C’est à ce moment que Legault est monté à la rescousse. Si son appui renverse la tendance pour O’Toole, cela pourrait mettre les conservateurs en tête – et mettre le nouveau gouvernement fermement en position de redevance envers Legault.

Mais cela fera-t-il la différence? Le dernier sondage Léger montre que 68% des électeurs ont déjà pris leur décision dans le cadre de cette élection. Et bien que les électeurs québécois aiment les gagnants, ils pourraient bien prêter plus d’attention à ce que les experts du reste du Canada disent après le débat anglais de jeudi qu’à ce que Legault a dit après celui de mercredi. La popularité grimpante des conservateurs dans les sondages en Ontario pourrait bien être une plus grande incitation à choisir O’Toole que n’importe quel appui politique.

Néanmoins, les éloges de Legault apporteront probablement un peu de vent dans les voiles du chef conservateur pour les derniers jours de la campagne. Et servir d’avertissement pour tous les partis: quelle que soit la personne qui franchira la ligne d’arrivée le premier, le Québec l’attendra pour l’accueillir avec sa liste de revendications.

ELXN44 – Débats des chefs: qui mène la danse?

Quel bilan tirer des débats des chefs qui viennent tout juste d’avoir lieu? Y-a-t-il un gagnant? Quels enseignements tirer des réponses qui ont été offertes et des attaques qui ont été menées? Celles-ci suffiront-elles pour changer le cours de l’élection? David Millian, hôte du podcast Le Brief, en discute avec Tasha Kheiriddin et André Pratte. Bonne écoute!