Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post
C’était en 2006. Durant la campagne électorale des libéraux fédéraux. En baisse de 10 points dans les sondages, à deux semaines du scrutin, le brain trust libéral a conçu une série de publicités d’attaque, dont la plus controversée dépeignait le chef conservateur Stephen Harper comme un maniaque fasciste. Des battements de tambours militaires résonnaient sur une image floue d’un Harper à l’air coléreux alors qu’une voix hors champ clamait: «Stephen Harper a en fait annoncé qu’il voulait augmenter la présence militaire dans nos villes. Nos villes canadiennes. Des soldats avec des fusils. Dans nos villes. Au Canada. Nous n’avons pas inventé cela.»
Les libéraux ne l’ont peut-être pas inventé, mais ils ont omis de mettre tout cela en contexte. Le programme des conservateurs prévoyait que 100 troupes régulières et 400 réservistes soient basés dans les grandes villes canadiennes. Mais il spécifiait aussi que leur seul objectif serait les efforts humanitaires ou de secours en cas de catastrophe.
Alors que la publicité n’est apparue que sur le site Web libéral et n’a jamais été diffusée à la télévision, elle est devenue virale – et pas dans les bonnes raisons. Puis le chef libéral, Paul Martin, après l’avoir d’abord défendue, l’a finalement désavouée. Il a même fait le New York Times, qui a rapporté que «les conservateurs qualifient les vidéos de “publicités d’attaque à l’américaine“» et «selon certains analystes, elles indiquent un niveau de désespoir jamais vu depuis que les libéraux ont pris le pouvoir il y a 13 ans».
Projetons-nous maintenant en 2021, où une vidéo des libéraux publiée sur Twitter par Chrystia Freeland est également devenue virale au cours du week-end. Cette fois, l’enjeu était les soins de santé. La vidéo montrait le chef conservateur Erin O’Toole s’exprimant lors d’une session de questions-réponses diffusée en ligne en juillet 2020, et au cours de laquelle il a exprimé son soutien à une exploration des options de soins de santé public-privé. Les libéraux avaient cependant fortement modifié le clip pour retirer les bouts où O’Toole exprimait un soutien sans équivoque au système de santé public. Le message a été signalé comme «manipulé» par Twitter et a explosé au visage des libéraux, devenant l’un des principaux sujets de discussion de la deuxième semaine de la campagne.
Il y a une différence entre ces deux situations, bien sûr. Lorsque la publicité de 2006 a été conçue, les libéraux étaient en train de perdre dans la dernière ligne droite d’une campagne désastreuse. Cette fois, ils en sont seulement à la deuxième manche d’un court match. Alors que les sondages montrent que la course se resserre, on ne sait pas trop pourquoi ils jouent aux durs si tôt. Et ils jouent aux durs sur plusieurs fronts.
Au cours des deux dernières semaines, les libéraux ont dépoussiéré la question de l’avortement, soulevé le spectre de Stephen Harper et tenté de lier O’Toole au mouvement anti-vaccin. Aucune des attaques n’a collé. Au lieu de cela, les conservateurs (à l’exception d’une vidéo pré-électorale plutôt embarrassante) ont régulièrement détourné les attaques des libéraux et réussit à présenter une solide plate-forme. De même, le NPD a bien fait dans les sondages, avec le charismatique Jagmeet Singh faisant le tour du Canada pour promouvoir sa plate-forme «à la gauche de celle du Parti libéral».
Ce qui amène un stratège à se demander: peut-être que la véritable cible des attaques libérales ne sont pas les conservateurs, mais le NPD?
La consolidation du vote progressiste est la clé pour que Trudeau remporte une majorité. Les gains du NPD se font aux dépens des libéraux, particulièrement à Toronto. Ils pourraient également diviser le vote dans le 905 et permettre aux candidats conservateurs de se placer au milieu, remportant les sièges des libéraux, comme ils l’ont fait en 2011.
En Colombie-Britannique, les libéraux se doivent de supprimer le vote conservateur, car un passage des libéraux bleus aux conservateurs diviserait le vote de centre-droit et permettrait aux candidats du NPD de s’approprier également des sièges libéraux.
Et au Québec, les libéraux rivalisent sur le «front progressiste» avec le Bloc Québécois, qui a présenté une plate-forme qui non seulement veut aller chercher plus de pouvoirs pour le Québec, mais laisse une large place aux questions progressistes comme l’énergie verte et la réconciliation autochtone.
Alors, comment faire tenir la plus grande tente libérale possible? En faisant peur à l’aide des conservateurs!
Ils l’ont déjà fait. Mais pour l’instant, ça ne marche pas. Et Trudeau semble aussi étrangement hors de son jeu. Sa mise en scène d’indigné face aux réflexions d’O’Toole sur les soins de santé publics-privés «au beau milieu d’une pandémie» par exemple, sonne particulièrement faux, lorsque Trudeau lui-même a convoqué des élections à l’aube d’une quatrième vague.
Les libéraux ont encore beaucoup de temps pour gagner ce match, mais s’ils continuent de commettre des erreurs non provoquées, l’histoire de la vidéo manipulée pourrait bien rejoindre leur publicité «des soldats armés» comme un autre exemple du désespoir de campagne libérale.