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Trudeau «ne pense pas à la politique monétaire» – il le devrait, ou nous en paierons tous le prix

Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post

S’il y avait une preuve que cette élection est faite pour que Justin Trudeau la perde, le chef libéral l’a réaffirmé cette semaine avec un autre moment classique de «comment se mettre le pied dans la bouche». Lorsqu’un journaliste lui a demandé s’il soutiendrait la modification du mandat de lutte contre l’inflation de la Banque du Canada pour permettre des prix plus élevés, comme l’ont fait les États-Unis, Trudeau a offert ce joyau de réponse:

«Quand je pense à la plus importante politique économique que ce gouvernement, s’il est réélu, mettrait de l’avant, pardonnez-moi si je ne pense pas à la politique monétaire. Vous comprendrez que je pense d’abord aux familles.»

Déballer la stupidité de cette déclaration pourrait prendre le reste de cette chronique, mais voici les grandes lignes:

La politique monétaire consiste à fixer des objectifs d’inflation. Une inflation plus élevée diminue le pouvoir d’achat des familles. Un pouvoir d’achat plus faible signifie moins d’argent pour l’épicerie, le loyer, les hypothèques, l’essence, les vêtements et tout ce dont les familles ont besoin. L’inflation a atteint 3,7% en juillet, l’un des niveaux les plus élevés en 20 ans; il s’agit également du quatrième mois consécutif où le taux dépasse le mandat de 1% à 3% de la Banque. Ce mandat est établi par le gouvernement fédéral et doit être renouvelé plus tard cette année.

Autrement dit, penser à la politique monétaire, c’est penser aux familles, et le premier ministre est en mesure de faire quelque chose en ce sens. S’il comprend comment cela fonctionne, bien entendu.

L’indignation des conservateurs, qui étaient déjà à bord du train anti-inflationniste, ne s’est pas fait attendre. «Le fait est que Justin Trudeau a rendu la vie moins abordable pour tous les Canadiens», a déclaré le chef conservateur Erin O’Toole dans un communiqué. «Les Canadiens ont du mal à joindre les deux bouts.» Les conservateurs ont également publié une publicité en ligne intitulée «C’est le travail du premier ministre de réfléchir à la politique monétaire – La politique monétaire a un impact direct sur le coût de la vie.»

Il n’est pas surprenant qu’O’Toole veuille remplacer le narratif de la vaccination – une question que les libéraux tentent d’utiliser contre les conservateurs pour les forcer à prendre une position alors qu’il ne le souhaite pas vraiment – par celui des taux d’inflation. Un sondage Angus Reid publié aujourd’hui montre que les électeurs préoccupés par les problèmes économiques font plus confiance aux conservateurs qu’à leurs adversaires. Sur les 58% des répondants qui se décrivent comme «anxieux» au sujet de l’économie, 39% déclarent que le Parti conservateur est leur premier choix, plus que tout autre parti. Une enquête moins récente d’Abacus a révélé que le coût de la vie est le problème numéro un de cette élection pour les trois principaux partis, avec 62% des personnes interrogées le classant globalement parmi les dix premières préoccupations.

Il n’est donc pas surprenant que le chef du NPD, Jagmeet Singh, ait également profité de la déclaration de Trudeau. Faisant campagne en Colombie-Britannique, où les prix des logements continuent de grimper, Singh a fait la promotion de sa politique d’abordabilité du logement, qui comprend une taxe de 20% sur les acheteurs étrangers et un engagement à créer 500 000 logements «qui correspondent à ce que les gens ont comme budget». Singh a déclaré: «La réalité est qu’au cours des six dernières années, les choses ont beaucoup empirées. Les gens ne peuvent plus trouver une maison qui soit dans leur budget», a déclaré Singh lors d’un arrêt de campagne à Burnaby. «L’une des principales raisons pour lesquelles cela se produit est que Justin Trudeau a laissé cela se produire.»

La gaffe de Trudeau sera-t-elle dans la même lignée qu’un autre échec de campagne historique, selon lequel «une élection n’est pas le moment de discuter de problèmes sérieux»? Cette boutade a fait beaucoup de tort à la première ministre progressiste-conservatrice Kim Campbell lors des élections de 1993. Le NPD avait accusé Campbell de chercher à réformer les programmes sociaux sans consulter les provinces; Campbell a déclaré qu’elle voulait seulement dire que 47 jours n’étaient pas suffisants pour s’attaquer à des problèmes aussi graves.

Cette fois-ci, tous les dirigeants ont à peine 35 jours pour marquer leurs points, dans une atmosphère d’incertitude pandémique et d’anxiété financière. Si l’opposition réussit à entraîner les libéraux sur le terrain économique et à l’attaquer à la fois de la gauche et de la droite sur les questions d’abordabilité, leur avance sur les autres partis pourrait disparaître. Bien qu’un faux pas ne soit peut-être pas aussi fatal, Trudeau ne peut pas se permettre de faire plus d’erreurs dans une élection où il a tout à perdre.

Brian Gallant: Mordus de Politique

Brian Gallant, conseiller spécial chez Navigator et PDG du Centre canadien pour la mission de l’entreprise, s’est joint aux Mordus de Politique avec Sébastien Bovet, Dimitri Soudas, Françoise Boivin et Jean-François Lisée pour discuter de la dernière promesse électorale d’Erin O’Toole de donner au Québec les pouvoirs d’une nation dans les 100 jours de son mandat.

ELXN44 : Tout est une question de confiance!

La course à l’élection n’a commencé que depuis 5 jours que bien des enseignement sont déjà à tirer. Le premier d’entre eux? Avant de pouvoir espérer le vote d’un électeur, encore faut-il lui inspirer confiance… Or, c’est une tâche plus difficile pour certains que pour d’autres… Là où Erin O’Toole ne rassemble pour le moment que 22% d’impression positive ou très positive, d’autres comme Yves-François-Blanchet ou Jagmeet Singh oscillent au-delà des 40% (voir les résultats de notre recherche ici). Quelles sont les implications de tels résultats? Et quels ont été le grands moments forts de cette semaine? David Millian, hôte du podcast Le Brief, en parle avec ses deux collègues Tasha Keireidhin et André Turcotte, directeur de notre département de  recherche Découvrir.

Bonne écoute!

Comment le Bloc québécois pourrait priver Justin Trudeau de sa majorité

Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post

L’autobus dit tout. Sur un fond bleu ciel, le mot «Québécois» se dresse à cinq pieds de haut à côté d’une image encore plus grande du visage du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. Le message est aussi subtil qu’un défilé de la Saint-Jean-Baptiste: le Bloc est le parti des Québécois, pour les Québécois… et Blanchet est un Québécois dans l’âme.

Francophone, originaire de Drummondville, ancien enseignant, directeur artistique et ministre provincial sous le Parti québécois, Blanchet a pris la barre du Bloc en 2019 alors que le parti croupissait avec ses 10 sièges. Sous sa direction, le parti est revenu à la vie lors des élections fédérales de cette année-là, remportant 22 sièges, principalement aux dépens des conservateurs et du NPD. La vague orange de l’ancien leader Jack Layton avait depuis longtemps reculé; sous Jagmeet Singh, le parti n’a conservé qu’une seule circonscription, Rosemont-La-Petite-Patrie, sur l’île de Montréal. Les conservateurs d’Andrew Scheer, eux, sont tombés à dix sièges, et l’ancien conservateur devenu chef du Parti populaire, Maxime Bernier, a été battu en Beauce, dans la région de Québec. Lorsque les votes ont été comptés, le décompte final s’élevait à 35 pour les libéraux, 32 pour le Bloc, 10 pour les conservateurs et 1 pour le NPD.

Cette fois-ci, la lutte sera entre les libéraux et les bloquistes. Le Bloc s’est fixé un objectif de 40 circonscriptions, espérant en ravir huit aux libéraux et aux conservateurs. Sept d’entre elles sont «en région», c’est-à-dire hors de l’île de Montréal: Québec, Châteauguay-Lacolle, Chicoutimi, Sherbrooke, Longueuil–Charles-LeMoyne, Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine et Argenteuil. La seule circonscription montréalaise est Hochelaga, que les libéraux ont repris au NPD en 2019.

«On parle de circonscriptions dont les chiffres suggèrent que la machine très puissante du Bloc en 2019 a été très proche de gagner», a déclaré Blanchet au Journal de Montréal cette semaine. «On a le droit d’avoir de l’ambition. On a de l’ambition pour le Québec.»

Mais comment cette ambition s’exprimera-t-elle? La plus grande énigme du Bloc réside dans son existence même. Est-il là pour arracher des concessions à Ottawa et permettre aux Québécois majoritairement francophones de vivre mieux leur vie au sein du Canada? Ou son objectif ultime est-il de créer un pays indépendant?

Sur papier, le but du Bloc est la séparation, mais le parti ne le crie pas sur tous les toits. Il met plutôt l’accent sur son rôle de défenseur des intérêts du Québec. Lors de sa «tournée estivale» cette année, Blanchet a vanté l’appui du gouvernement fédéral à l’industrie de l’aluminium de la province et les modifications pro-francophones apportées à la Loi sur les langues officielles, ainsi que l’adoption du projet de loi 96, qui donne essentiellement au premier ministre du Québec, François Legault, la capacité de modifier sa constitution et décréter le français comme langue officielle au Québec.

Attendez-vous donc à ce que Trudeau essaie de peindre Blanchet dans un coin sur la question de la souveraineté, notamment lors du débat français des chefs prévu le 8 septembre. Va-t-il ou non ramener le débat séparatiste à l’avant-scène? Avec le récent accord sur les garderies abordables et la coopération entre Ottawa et Québec à un niveau record, le Québec n’a-t-il pas intérêt à demeurer au sein d’un Canada uni?

Et tandis que Blanchet peut prétendre être le meilleur «porte-drapeau» du Québec, Trudeau le surpasse en fait sur une question importante: peut-il «comprendre les gens comme moi»? Dans un récent sondage de la firme Navigator, 46% des répondants québécois affirment que Blanchet les comprend assez ou fortement; mais encore plus (50%) pensent de cette façon à propos de Trudeau. Singh et O’Toole obtiennent tous deux de moins bons résultats, à 38% et 32% respectivement.

Les principaux enjeux au Québec pour cette élection incluront la vaccination obligatoire (Blanchet a récemment reproché à Trudeau d’avoir forcé la vaccination des employés du secteur public alors que le système de paie Phénix du gouvernement en difficulté ne peut même pas leur faire parvenir leurs chèques à temps), les changements climatiques (l’opposition à une exploration pétrolière et gazière accrue dans l’Ouest pourrait être un point de discorde important) et l’économie (qui arrive en tête de liste d’un océan à l’autre dans presque tous les sondages).

Trudeau sait que si le Bloc fait des gains au Québec, il peut dire adieu à ses rêves de gouvernement majoritaire. Attendez-vous à ce qu’on porte beaucoup d’attention à la Belle Province au cours des 34 prochains jours.