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Erin O’Toole avait l’air premier ministre lors du premier débat des chefs

Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post

Et le gagnant est… le prochain débat. Le «Face-à-face», diffusé jeudi soir par TVA, était notre première occasion de voir les chefs de parti en venir aux coups, et alors qu’ils ont décroché quelques bons coups, le KO proverbial s’est avéré hors de portée. Ce que l’échange a permis cependant, c’est de mettre la table pour la prochaine rencontre. Des questions telles que les soins de santé, les changements climatiques, les relations entre Québec et Ottawa, et la raison pour laquelle ces élections ont lieu, sont toutes susceptibles de refaire surface lors des débats français et anglais du consortium des médias de la semaine prochaine.

Ce dernier point s’avérera difficile pour le chef libéral, Justin Trudeau. Au cours des trente premières minutes de la confrontation de TVA, non seulement il n’a pas réussi à expliquer de manière convaincante pourquoi il avait déclenché des élections deux ans plus tôt, mais il est également paru comme sur la défensive et ébranlé. En revanche, les trois chefs de l’opposition semblaient sereins pendant que Trudeau se débattait. Lors de la conférence de presse qui a suivi le débat, Trudeau a tenté de préciser que l’élection était nécessaire «pour trouver une issue à la pandémie» et a insisté sur l’importance des vaccins, mais le mal était fait.

Trudeau a également trébuché lorsque le chef conservateur, Erin O’Toole, lui a demandé s’il regrettait d’avoir accordé une augmentation de salaire au chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, après que des allégations de harcèlement sexuel contre Vance eurent été portées à la connaissance du bureau du premier ministre. Trudeau a déclaré que «nous avons suivi la procédure», ce à quoi O’Toole a rétorqué que «nous avions besoin de leadership… vous étiez en charge». Bien qu’il ne s’agisse pas d’un coup fatal, cela rappela le tristement le célèbre échange «Vous aviez une option, monsieur!», entre le chef conservateur Brian Mulroney et le premier ministre libéral John Turner en 1984, lorsque Turner a déclaré qu’il n’avait d’autre choix que de donner suite à une série de controversées nominations politiques recommandées par son prédécesseur, Pierre Elliott Trudeau.

Pour sa part, O’Toole a réussi à relever ses défis les plus importants: il avait l’air premier ministre, parlait très bien français et gardait son sang-froid. Il a également vivement fait appel au vote nationaliste doux, vantant son «contrat avec les Québécois» (quoique trop fréquemment) et déclarant que le Québec a besoin d’un «partenaire, pas d’un papa». À ce sujet, cependant, il a été repoussé par le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, qui lui a demandé s’il serait en mesure de répéter ces mêmes mots au reste du Canada, un sujet qui pourrait hanter O’Toole lors du débat anglais.

Trudeau a également fait faire des steppettes au chef conservateur sur les questions des armes à feu et des changements climatiques, mais a obtenu son plus gros coup lors d’un échange sur les soins de santé, lorsqu’il a demandé à plusieurs reprises à O’Toole s’il était en faveur d’un plus grand accès aux soins de santé privés. O’Toole a refusé de répondre et a plutôt répété qu’il appuyait le système universel du Canada et qu’il augmenterait les transferts provinciaux sans aucune condition. Cela ouvre la porte à de nouvelles attaques libérales sur la question et pénalise une partie des «avancées» que les conservateurs ont faites avec la controverse des «médias manipulés» lors des déclarations précédentes d’O’Toole sur le choix en matière de soins de santé.

Quant à Blanchet et Singh, ils étaient tous les deux forts, mais décevants. Blanchet a martelé sa ligne «Ottawa-ne-sais-pas-tout», a coincé O’Toole pour récupérer l’engagement de 6 milliards de dollars de Trudeau en matière de garderie et a réprimandé Trudeau pour avoir préconisé les vaccins et la distanciation sociale, alors qu’il multipliait les selfies au cours des premières semaines de la campagne. Mais il a également été accusé de faire preuve d’hypocrisie pour son appui à un projet de tunnel controversé auquel s’opposent le Parti québécois et des groupes environnementaux. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a fait preuve de charme et de sincérité, même si son français était légèrement plus faible que celui de ses rivaux. Il a sorti de bonnes lignes comme «les profits ont tué nos aînés» qui vont sans doute plaire à ce qu’il reste d’appuis pour le NPD au Québec, mais qui n’aideront pas à accroître son nombre de partisans là-bas.

Dans l’ensemble, il était rafraîchissant de voir un débat en français où tous les dirigeants étaient en fait capables de comprendre à la fois leurs adversaires et les questions, et de répondre avec plus que des phrases toutes faites et des lignes mémorisées. Tout le Canada n’a peut-être pas regardé le débat d’hier soir, mais comme en 2019, son impact se fera sentir pendant les semaines qu’il reste de la campagne, alors que les libéraux tentent d’inverser la tendance et que les conservateurs sont aux prises avec leur nouvelle popularité – et la cible du meneur de tête dans le dos.

Une note de programmation en provenance du Québec: cette élection ne sera pas une rediffusion

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Dimanche soir, Radio-Canada a diffusé une rencontre de deux heures avec les chefs des partis fédéraux, en français, à la manière d’un comité de rédaction – et a fixé une nouvelle barre en matière de programmation télévisuelle électorale. Contrairement aux débats traditionnels, qui comportent souvent plus de cris que de substance, le format «Meet the Press» a été l’occasion de voir des politiciens se faire bombarder de questions intelligentes, suscitant parfois des réponses honnêtes et même quelques éclats de rires. Et l’émission a braqué les projecteurs sur les priorités électorales du Québec, qui s’annonce comme le champ de bataille clé de la présente campagne.

Ce qui en est ressorti? Premièrement, le français de tout le monde était étonnamment bon, notamment celui du chef conservateur Erin O’Toole. On pouvait presque entendre les soupirs de soulagement des partisans conservateurs lorsqu’Erin O’Toole répondait habilement aux questions, contrairement aux performances moins douces à l’oreille de l’ancien chef, Andrew Scheer, en 2019. Les électeurs francophones peuvent véritablement s’attendre à de la substance lors du premier débat des chefs de langue française jeudi soir, au lieu de se concentrer à tweeter en direct les gaffes linguistiques du chef conservateur.

Deuxièmement, la rencontre mettait en vedette six dirigeants politiques, et non cinq. Le premier ministre du Québec, François Legault, n’était pas là en personne, mais il était l’éléphant dans la salle. Quelques jours auparavant, il avait publié sa liste électorale de «revendications» pour le Québec et avait qualifié les plateformes libérale et néo-démocrate de «beaucoup plus centristes» que celles de leurs rivaux, notamment sur la question de la santé. Alors que les remarques de Legault pourraient stimuler le vote bloquiste, les conservateurs pourraient en fait gagner le plus en ayant l’air d’être une sorte de refuge pour les votes nationalistes mous, en particulier dans les courses serrées avec le Bloc autour de la ville de Québec.

Les commentaires de Legault ont également incité les membres du panel de Radio-Canada à demander au chef du Bloc, Yves-François Blanchet, si son parti est devenu une «façade» pour le parti de Legault, la Coalition Avenir Québec, une accusation que s’est empressé de nier Blanchet. Ils ont également demandé si les ententes provinciales conclues avec Ottawa, comme la part du Québec du 6 milliards de dollars en fonds fédéraux alloués aux garderies, compromettaient l’objectif ultime du Bloc, soit l’indépendance du Québec. «Alors le fédéralisme fonctionne?», a demandé la panéliste Anne-Marie Dussault. Ce à quoi Blanchet a répondu avec humour qu’il y avait une différence entre rapatrier des pouvoirs, petit à petit d’Ottawa, et les avoir tout d’un coup en tant que «vraie nation».

Cela ne suffira peut-être pas à satisfaire les partisans de la ligne dure du Bloc, dont certains se plaignent de l’absence du mot «indépendance» dans la plateforme du parti. Attendez-vous à ce que le chef libéral, Justin Trudeau, talonne Blanchet sur cette question lors des prochains débats. Si Trudeau peut amener Blanchet à adopter une ligne plus dure en matière de souveraineté, cela pourrait ramener les votes nationalistes des conservateurs vers le Bloc, tout en siphonnant les votes fédéralistes des conservateurs vers les libéraux en réaction à un sentiment de nationalisme renouvelé.

Enfin, l’autre grand champ de bataille au Québec sera probablement l’environnement, et on a pu voir O’Toole et Blanchet sur la défensive dimanche soir. Lorsqu’on lui a demandé s’il forcerait un pipeline est-ouest sur la province, O’Toole n’a pas directement abordé la question, s’en remettant au «respect des compétences constitutionnelles» et confirmant seulement qu’il appuierait les projets existants, tels que Trans Mountain.

Pendant ce temps, Blanchet a été interrogé sur son appui à un projet de tunnel de 10 milliards de dollars sous le fleuve Saint-Laurent qui a été fortement critiqué par les écologistes et pour lequel Legault demande à Ottawa de payer 40 % de la facture. Le Parti québécois s’est prononcé contre le projet, provoquant davantage de divisions dans les rangs souverainistes qui menacent de miner le soutien du Bloc. «Je sais que cela peut se faire de façon beaucoup plus écologique, mais la décision ne sera pas prise par moi, mais par le gouvernement du Québec», a répondu Blanchet.

La cheffe du Parti vert, Annamie Paul, et le chef du NPD, Jagmeet Singh, se pencheront également sur ces questions lors des prochains débats, bien que leurs efforts n’augmenteront probablement pas leur nombre de sièges dans la Belle Province, qui s’élèvent respectivement à zéro et un. Lorsque les panélistes lui ont demandé s’il pouvait soutenir un gouvernement minoritaire conservateur potentiel, Singh a répondu qu’il était «dans cette élection pour gagner», provoquant quelques pouffées de rires sardoniques de la part de ses interlocuteurs. Ce fut l’un des moments les plus légers de la soirée, mais qui a souligné à quel point l’étoile du NPD a pali dans la province depuis que Jack Layton l’avait peinte en orange, en 2011 – et à quel point la province sera centrale pour décider qui formera le prochain gouvernement fédéral.

Les libéraux de Trudeau sont nuls en matière de politique étrangère – la gaffe de «nos frères» n’est que leur dernier revers

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«Je veux profiter de cette occasion pour parler avec nos frères, les talibans. Nous vous demandons d’assurer le passage sûr et sécurisé hors du pays de toute personne se trouvant en Afghanistan. Nous vous demandons d’arrêter immédiatement la violence, le génocide, le fémicide, la destruction d’infrastructures, y compris les bâtiments patrimoniaux.»

Cette déclaration a été faite mercredi par Maryam Monsef, la ministre canadienne des Femmes et de l’Égalité des genres. Sans surprise, son utilisation du terme «frères» a généré une véritable tempête. «Le langage utilisé par le gouvernement Trudeau est totalement inacceptable», a rétorqué le chef conservateur Erin O’Toole. «Je pense aux femmes et aux filles en Afghanistan qui sont en danger avec la mise en place du régime taliban. Les Canadiens méritent un gouvernement qui défendra toujours nos valeurs.»

Monsef, qui est née en Iran de parents réfugiés afghans, a défendu ses propos comme étant une «référence culturelle», mais a aussitôt été interpellée sur les réseaux sociaux, notamment par la journaliste musulmane Fatima Syed qui a tweeté «FAIT: “frères“ est un terme de respect. FAUX: les musulmans appellent les talibans des “frères“. OPINION: c’était stupide. SOLUTION: passez à autre chose; il y a des vies en jeu.»

Mais l’opposition n’est pas passée à autre chose. C’est parce que, bien que la politique étrangère ne soit traditionnellement pas une question à scrutin, lorsqu’une gaffe comme celle-ci alimente une réalité plus grande, elle peut changer le cours d’une campagne.

C’est ce qui s’est passé il y a presque six ans. La photo du réfugié syrien de trois ans, Alan Kurdi, noyé sur une plage turque, est devenue virale un mois après le début de la campagne électorale fédérale de 2015. Alan, sa mère et son frère sont morts en essayant d’atteindre l’Europe dans un canot pneumatique; leur père a affirmé que la famille avait demandé l’asile au Canada, mais que leur demande avait été rejetée car elle avait été jugée incomplète. Le député néo-démocrate Fin Donnelly avait alors indiqué avoir remis le dossier de la famille en main propre au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Chris Alexander, déjà sur la sellette pour la lenteur des approbations de dossiers de réfugiés en provenance de Syrie, qui l’avait rejeté pour cette même raison.

Cet incident a eu un impact important sur l’élection, car il a alimenté un récit politique plus grand: celui voulant que les conservateurs étaient indifférents, anti-réfugiés et racistes. D’autres annonces des conservateurs ont aggravé le problème: moins d’un mois plus tard, les conservateurs se sont engagés à faire appel d’une décision de la Cour suprême en faveur de Sunera Ishaq, une femme qui avait refusé d’enlever son voile pour prêter serment de citoyenneté; une semaine plus tard, Alexander et sa collègue candidate conservatrice Kellie Leitch ont annoncé que les conservateurs mettraient en place une «ligne de dénonciation» pour signaler les «pratiques culturelles barbares» telles que la circoncision féminine et le mariage forcé. Aux yeux d’Alexander, cela a planté le dernier clou dans le cercueil; après près de 10 ans au gouvernement, les conservateurs ont été défaits et le chef libéral Justin Trudeau a promis d’inaugurer une nouvelle ère de politique étrangère «de compassion».

Aujourd’hui, les rôles sont inversés. Ce sont les libéraux qui sont au pouvoir et qui demandent un troisième mandat, défendant un bilan de politiques étrangères qui ne peut être qualifié que d’une série d’échecs. Il s’agit notamment du voyage désastreux du premier ministre en Inde en 2018, de la tentative «amateur» du Canada d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU en 2020 et de la détention depuis deux ans de deux citoyens canadiens par la Chine qui se moque ouvertement de Trudeau comme d’un «garçon» qui a fait du Canada «un chien de poche des États-Unis». Ajoutez à cela la déclaration incroyable de Trudeau cette semaine qui s’est dit «préoccupé» par les révélations selon lesquelles son gouvernement s’était engagé à construire un traversier canadien de 100 millions de dollars en Chine (les conservateurs se sont immédiatement engagés à résilier l’accord), et il est clair que lorsqu’il s’agit de relations internationales, l’empereur non seulement n’a pas de vêtements, mais il ne s’en doute même pas.

Les commentaires de Monsef ont mis en lumière une réalité bien plus grande: celle de la compétence. Non seulement ce gouvernement est naïf et non diplomatique, mais il est inefficace: les efforts du Canada pour évacuer les Afghans qui ont aidé les efforts de guerre du Canada ont été décrits comme une «catastrophe». Le sous-texte est le suivant: si les libéraux ne peuvent pas gérer le dossier des affaires étrangères, comment pouvons-nous leur faire confiance pour gérer quoi que ce soit? Et si c’est l’histoire qui colle, ils ont de sérieux problèmes.