Lire la version originale anglaise de ce texte sur le site du National Post
«Dangereux». Voilà un mot qui n’est pas souvent utilisé dans le discours politique, à moins qu’il ne s’agisse de quelque chose de vraiment grave: libertés fondamentales, droits de l’homme ou situations de vie ou de mort. Pourtant, c’est le mot que le premier ministre du Québec, François Legault, a choisi lorsqu’il a commenté les élections fédérales en cours – et il l’a utilisé pour décrire trois des partis en lice.
«Je trouve très préoccupant que trois partis, les libéraux, le NPD et les verts, non seulement ne soient pas ouverts à donner plus d’autonomie au Québec, mais veuillent centraliser et s’approprier des pouvoirs qui sont clairement des compétences provinciales», a déclaré Legault jeudi. «Je suis nationaliste, je veux que le Québec soit plus autonomiste et ait plus de pouvoir. Il y a trois partis qui veulent nous donner moins d’autonomie. Et je trouve ça dangereux.»
Cela ne laissait que deux prétendants acceptables sur le terrain: les conservateurs et le Bloc québécois. Lors de sorties précédentes, Legault avait laissé entendre que les deux partis représentaient un choix acceptable pour le Québec, notamment lorsqu’il s’en est pris au NPD et aux libéraux pour leurs politiques de santé qui ne conduiraient qu’à «plus de centralisation, plus de bureaucratie».
Mais cette fois, Legault est allé plus loin et a pratiquement appuyé les conservateurs. «Le Parti conservateur a été clair: il veut augmenter les transferts en santé sans conditions, il veut transférer les pouvoirs en matière d’immigration, et M. O’Toole s’est engagé à ne pas financer l’opposition au projet de loi 21», a déclaré Legault. «Pour la nation québécoise, l’approche de M. O’Toole est la bonne.»
Pourquoi dire ceci, et pourquoi maintenant, et quelle différence cela pourrait-il faire pour la course?
«Ceci» est la façon dont Legault affirme sa position de premier ministre le plus populaire au pays – et l’un des plus populaires au Québec de mémoire récente, allant chercher près de 50% d‘appui dans les sondages. Legault semble apprécier son rôle de «faiseur de rois» surtout si cela lui permet ensuite de s’attribuer le mérite d’avoir façonné un gouvernement favorable au Québec. Jusqu’au début des élections, Legault était tout sourire avec Justin Trudeau, particulièrement lorsque ce dernier lui a fait un chèque de 6 milliards de dollars pour financer 27 000 places supplémentaires en garderie. Mais tout comme le Seigneur donne, il reprend — et c’est ce que Legault a fait avec son annonce.
Le «maintenant» peut s’expliquer par la piètre performance du chef conservateur, Erin O’Toole, lors du débat des chefs français du consortium des médias, mercredi soir. Fini le O’Toole confiant et décontracté du débat de la semaine dernière à TVA; au lieu de cela, les téléspectateurs ont eu droit à une performance rigide et sans énergie qui a laissé toute la place à ses quatre rivaux. Parmi ceux-ci, le chef libéral Justin Trudeau a occupé le plus d’espace, frappant à gauche et à droite alors qu’il tentait de gagner des points de popularité et de consolider ses références québécoises. Trudeau a fourni certains des rares feux d’artifice de la soirée lorsqu’il a crié au chef du Bloc, Yves-François Blanchet: «Je suis un fier Québécois. J’ai toujours été un fier Québécois… Vous n’avez pas l’unanimité (sic) sur le Québec!»
Les commentateurs québécois n’ont pas été impressionnés par O’Toole, y compris la chroniqueuse Chantal Hebert, qui a plaisanté en disant que «(O’Toole) a raté la cible lors de cette dernière grande occasion d’établir un lien plus fort avec les électeurs québécois et de les impressionner». C’est à ce moment que Legault est monté à la rescousse. Si son appui renverse la tendance pour O’Toole, cela pourrait mettre les conservateurs en tête – et mettre le nouveau gouvernement fermement en position de redevance envers Legault.
Mais cela fera-t-il la différence? Le dernier sondage Léger montre que 68% des électeurs ont déjà pris leur décision dans le cadre de cette élection. Et bien que les électeurs québécois aiment les gagnants, ils pourraient bien prêter plus d’attention à ce que les experts du reste du Canada disent après le débat anglais de jeudi qu’à ce que Legault a dit après celui de mercredi. La popularité grimpante des conservateurs dans les sondages en Ontario pourrait bien être une plus grande incitation à choisir O’Toole que n’importe quel appui politique.
Néanmoins, les éloges de Legault apporteront probablement un peu de vent dans les voiles du chef conservateur pour les derniers jours de la campagne. Et servir d’avertissement pour tous les partis: quelle que soit la personne qui franchira la ligne d’arrivée le premier, le Québec l’attendra pour l’accueillir avec sa liste de revendications.