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«Je veux profiter de cette occasion pour parler avec nos frères, les talibans. Nous vous demandons d’assurer le passage sûr et sécurisé hors du pays de toute personne se trouvant en Afghanistan. Nous vous demandons d’arrêter immédiatement la violence, le génocide, le fémicide, la destruction d’infrastructures, y compris les bâtiments patrimoniaux.»
Cette déclaration a été faite mercredi par Maryam Monsef, la ministre canadienne des Femmes et de l’Égalité des genres. Sans surprise, son utilisation du terme «frères» a généré une véritable tempête. «Le langage utilisé par le gouvernement Trudeau est totalement inacceptable», a rétorqué le chef conservateur Erin O’Toole. «Je pense aux femmes et aux filles en Afghanistan qui sont en danger avec la mise en place du régime taliban. Les Canadiens méritent un gouvernement qui défendra toujours nos valeurs.»
Monsef, qui est née en Iran de parents réfugiés afghans, a défendu ses propos comme étant une «référence culturelle», mais a aussitôt été interpellée sur les réseaux sociaux, notamment par la journaliste musulmane Fatima Syed qui a tweeté «FAIT: “frères“ est un terme de respect. FAUX: les musulmans appellent les talibans des “frères“. OPINION: c’était stupide. SOLUTION: passez à autre chose; il y a des vies en jeu.»
Mais l’opposition n’est pas passée à autre chose. C’est parce que, bien que la politique étrangère ne soit traditionnellement pas une question à scrutin, lorsqu’une gaffe comme celle-ci alimente une réalité plus grande, elle peut changer le cours d’une campagne.
C’est ce qui s’est passé il y a presque six ans. La photo du réfugié syrien de trois ans, Alan Kurdi, noyé sur une plage turque, est devenue virale un mois après le début de la campagne électorale fédérale de 2015. Alan, sa mère et son frère sont morts en essayant d’atteindre l’Europe dans un canot pneumatique; leur père a affirmé que la famille avait demandé l’asile au Canada, mais que leur demande avait été rejetée car elle avait été jugée incomplète. Le député néo-démocrate Fin Donnelly avait alors indiqué avoir remis le dossier de la famille en main propre au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Chris Alexander, déjà sur la sellette pour la lenteur des approbations de dossiers de réfugiés en provenance de Syrie, qui l’avait rejeté pour cette même raison.
Cet incident a eu un impact important sur l’élection, car il a alimenté un récit politique plus grand: celui voulant que les conservateurs étaient indifférents, anti-réfugiés et racistes. D’autres annonces des conservateurs ont aggravé le problème: moins d’un mois plus tard, les conservateurs se sont engagés à faire appel d’une décision de la Cour suprême en faveur de Sunera Ishaq, une femme qui avait refusé d’enlever son voile pour prêter serment de citoyenneté; une semaine plus tard, Alexander et sa collègue candidate conservatrice Kellie Leitch ont annoncé que les conservateurs mettraient en place une «ligne de dénonciation» pour signaler les «pratiques culturelles barbares» telles que la circoncision féminine et le mariage forcé. Aux yeux d’Alexander, cela a planté le dernier clou dans le cercueil; après près de 10 ans au gouvernement, les conservateurs ont été défaits et le chef libéral Justin Trudeau a promis d’inaugurer une nouvelle ère de politique étrangère «de compassion».
Aujourd’hui, les rôles sont inversés. Ce sont les libéraux qui sont au pouvoir et qui demandent un troisième mandat, défendant un bilan de politiques étrangères qui ne peut être qualifié que d’une série d’échecs. Il s’agit notamment du voyage désastreux du premier ministre en Inde en 2018, de la tentative «amateur» du Canada d’obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU en 2020 et de la détention depuis deux ans de deux citoyens canadiens par la Chine qui se moque ouvertement de Trudeau comme d’un «garçon» qui a fait du Canada «un chien de poche des États-Unis». Ajoutez à cela la déclaration incroyable de Trudeau cette semaine qui s’est dit «préoccupé» par les révélations selon lesquelles son gouvernement s’était engagé à construire un traversier canadien de 100 millions de dollars en Chine (les conservateurs se sont immédiatement engagés à résilier l’accord), et il est clair que lorsqu’il s’agit de relations internationales, l’empereur non seulement n’a pas de vêtements, mais il ne s’en doute même pas.
Les commentaires de Monsef ont mis en lumière une réalité bien plus grande: celle de la compétence. Non seulement ce gouvernement est naïf et non diplomatique, mais il est inefficace: les efforts du Canada pour évacuer les Afghans qui ont aidé les efforts de guerre du Canada ont été décrits comme une «catastrophe». Le sous-texte est le suivant: si les libéraux ne peuvent pas gérer le dossier des affaires étrangères, comment pouvons-nous leur faire confiance pour gérer quoi que ce soit? Et si c’est l’histoire qui colle, ils ont de sérieux problèmes.